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IRMA ET LES AUTRES - EXTRAIT

Il y a tout juste un an, mon roman "Irma et les autres" devenait l'un des quatre finalistes, sur plus de mille quatre cents manuscrits, du prix du Jury des Plumes francophones 2020. Une histoire de femmes - et bien davantage - sur fond d'ouragan avec Miami Beach pour décor.

À l'occasion de cet anniversaire, je vous invite, en partageant ce petit extrait, à vous plonger dans son univers. Bientôt l'ouragan Irma arrivera et on dit qu'il sera le plus terrible du siècle. Charley et Betsy se préparent.

Photo Anna Alexis Michel


" Il n’y avait plus d’hélicoptères depuis quelques heures. Alors, ils étaient remontés sur la terrasse, Charley et elle.

Pas tellement pour profiter du soleil. Pourtant, il faisait encore si beau. Le ciel était toujours si lumineux. Non, en fait, parce que Betsy voulait sauver ses plantes vertes. Enfin, le plus grand nombre possible d'entre elles.

Charley n'était pas trop partant pour se taper cette corvée. Lui, ce dont il avait surtout envie, c'était de faire du divan intensif.

Mais, évidemment, Betsy, comme toujours, avait insisté en le titillant, de petits bisous dans le cou, de pincettes, de bourrades. Et, comme d'habitude, Charley avait fini par céder pour lui faire plaisir. Mais le seul fait qu'il ait cédé avait rempli Betsy de joie et c'était la seule chose qui comptait.

Tandis qu'ils s'affairaient, Betsy se justifiait à haute voix en expliquant qu'elle n'avait pas du tout envie que ses jolies plantes crèvent. Mais - tu comprends, Charley ? - pas envie non plus de se retrouver avec un mort sur la conscience, au cas où quelqu'un viendrait à recevoir un de ses pots sur la tête.

Mais il y avait une perspective pire encore que celle d'un mort : un blessé.

Il fallait comprendre que le pot de fleurs éventuellement tombé sur la tête d'un passant, Betsy ne l'aurait pas eu seulement sur la conscience, mais sur l'ardoise aussi évidemment. Au pays de la liberté, sa quintessence est ce pouvoir absolu que n'importe quel quidam qui s'estimerait lésé, a de vous faire un procès pour n'importe quoi. Mais alors absolument n'importe quoi.

D'ici à imaginer que son mort, ou presque mort avec un cactus ou une agave sur la tête - ou sa famille s'il s'en trouvait - ne réalise que Betsy était née dans la classe des gens qui sont plus à envier qu'à plaindre, et elle se serait vite retrouvée saignée aux quatre veines.

Or, Betsy n'était pas du genre à payer toute sa vie pour les malheurs des autres. Elle n'avait jamais aimé le malheur : elle le regardait de loin, comme une maladie qu'on évite parce que le malheur quand on le regarde de trop près, ça colle, ça se propage, et cela peut même être contagieux. Betsy voulait de la joie, de la légèreté, de la lumière, de la couleur. Du champagne et des fleurs, mais pas de celles dont on fait les couronnes mortuaires.


Donc, sa cuisine, après quelques heures d'aller-retour entre la terrasse et le loft, avait été transformée en véritable orangerie.

En fait, Betsy était ravie, elle avait trouvé ce nouvel arrangement hyper mignon, ça cassait le côté trop lisse de sa cuisine design italienne. Et cela lui donnait des idées. Elle redécorerait tout, cette fois en esprit bobo chic. Ce serait si drôle. Quand les magasins auraient rouvert, après l’ouragan bien sûr. Charley l'accompagnerait. Puis, les coussins indiens, marocains et mexicains, ceux qu’ils avaient cachés ce matin sous la pergola, Charley et elle, elle les avait finalement répartis sur les marches de l’escalier en colimaçon. C'était vachement joli, on aurait dit comme un gros serpentin, coloré genre piñata, qui traversait l'appartement du sol au plafond. Quant aux chaises de la terrasse, Charley avait dû les empiler sur le palier.

Le vrai problème, le seul d'ailleurs, c'était la table en teck. Elle était bien trop grande. Gigantesque, en fait. On y installait confortablement douze convives.

En réalité, on pouvait même se demander comment elle avait pu arriver tout là-haut. Elle y était déjà, avec le jacuzzi, quand Betsy avait acheté l’appartement. Sans doute, avaient-ils dû être montés par grue, depuis la rue, ou peut-être même hélitreuillés.

Betsy avait bien essayé de dévisser les pieds de la table avec l'aide de Charley. Mais c'était mission impossible ! Avec l'humidité qu'il faisait en permanence là-haut, les rivets étaient vraiment tous rouillés. Bref, ils n'avaient ni l'un ni l'autre trouvé de solution pour la rentrer ou la plier.

La crainte de Betsy, c'était que, malgré son poids, la table ne s’envole. Bien sûr qu’elle était vachement lourde, cette table. Mais il n’empêche, le risque était réel, car la terrasse sur le toit donnait à tous les vents.

C’était d’ailleurs ce qui lui avait plu dans cet appartement, la terrasse qui surplombait tout l'appartement. Le septième étage, et puis rien au-delà. Juste le ciel. La définition exacte du paradis.

À l'est, du côté de l'avenue, on voyait la mer qui scintillait, comme un bandeau irisé qui faisait cligner les yeux quand on regardait, et tout au loin derrière, les hôtels Art Déco joliment alignés sur Collins Avenue. À l'ouest, on avait une vue sur la baie qui sépare Miami Beach de la ville. À l'horizon, c'est toute la côte qui se déroulait, avec ses programmes de développements immobiliers futuristes, et, chaque année, des immeubles de plus en plus hauts et de plus en plus nombreux, s'étendant depuis Brickell jusqu'à, très loin, Aventura.

Puis, sur la terrasse, au centre, il y avait une pergola. Exactement au centre. C'est Betsy qui l'avait fait construire d'ailleurs. Une jolie pergola tout entourée de bougainvilliers roses dans des pots en grès bleu qu'elle avait fait venir de Vallauris en France, et dont elle était tombée amoureuse après un séjour à Saint-Tropez.

Là-haut, c'était un peu sa tour de guet. Ou plus exactement, c'était comme un bateau. Avec à ses pieds la ville qui s'étalait en guise de vagues. Et les gens, minuscules, qui, vus d’en haut, frayaient leur chemin comme de petits poissons. Parce que les gros, eux, bien sûr, ils ne se mêlaient pas à la foule des piétons. Les gros poissons, ils paradaient au volant de leurs voitures et rentraient dans leurs propriétés de béton aux larges grilles et aux piscines impeccables.

Mais on ne les voyait jamais sur Ocean Drive : il fallait être de Miami Beach pour savoir que les seuls à y parader, c'étaient les vrais ploucs, les faux riches et les rappeurs vulgaires, ceux qui se la jouaient gangsters en Lamborghini de location, avec la musique à fond et les filles en string ramassées devant le Clevelander. Pas les gens de qualité.

-Au fait, la table, la grosse en teck, je l’ai arrimée du mieux que j’ai pu au pied de la pergola, avec de la très grosse ficelle en raphia rouge. Celle qu'il me restait de mes cadeaux de Noël de l'an dernier. J’espère qu’elle ne bougera pas. "


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Retrouvez l'interview d'Anna Alexis Michel :




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