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Photo du rédacteurAnna Alexis Michel

L'ÉCRIVAIN ET LE MYTHE

Dernière mise à jour : 14 janv. 2021

Comme chaque mardi, l'auteure francophone de Miami explore le monde de l'écriture...

Avant l'écriture, il y avait le verbe. C'est ce que veut dire μῦθος, - le terme grec qui a donné le mot français "mythe"- le mot, la parole. On racontait l'histoire : comment le monde était né, comment les hommes et les animaux, et les arbres, et les fleurs, et toutes les choses qui garnissent cette Terre étaient apparus.


Ne croyez pas les dictionnaires : le mot "mythe" n'est pas synonyme de "légende". La légende vient du latin legenda, qui veut dire "ce qui est à lire". Or, s'il faut le lire, c'est que c'est écrit.


Le mythe, lui, est oral, du moins à l'origine, tandis que la légende est écrite. Et oubliez ici aussi, l'acceptation vulgaire du mot mythe, celle de mensonge, de mirage, d'idée fausse.


Le mythe est l'histoire la plus ancienne de l'homme, de toute éternité même, puisque le « Temps du Rêve » des Aborigènes Australiens pourrait trouver sa source voici 40 000 ans. La bonne nouvelle est que les mythes avec lesquels vous avez grandi vont aussi vous aider à écrire.


Mais d'abord, un rappel des caractéristiques du mythe et de son importance pour l'écrivain :


- Le mythe est fondateur.

Parce qu'il donne une explication sur l'origine du monde, son fonctionnement, et le sens de l'existence, le mythe est le socle commun d'une civilisation. L'écrivain qui en est le produit ne peut en faire abstraction.

J'avais - il y a très longtemps - adoré "Totem et Tabou" de Freud. J'en suis revenue, comprenant en mûrissant que Freud avait à travers son œuvre, surtout fait - outre l'analyse de son temps - celle de son esprit torturé. Mais le livre avait le mérite de m'avoir ouvert à des concepts et à un vocabulaire, auxquels il me fut donné de me frotter en d'autres temps et d'autres lieux. Plus exactement, dix ans plus tard, en arrivant en Afrique de l'Ouest dans une famille Baoulé avec laquelle la mienne avait des liens d'alliance.

Oui, ce qui avait fondé l'origine du village où je résidais, c'était exactement le postulat dont Freud était parti : un jour, un ancêtre, un chasseur exilé, perdu et affamé avait aperçu une biche, peu farouche. Elle était à portée de lance. Il aurait pu la tuer, mais il ne l'avait pas fait : elle avait l'air d'inviter le chasseur à la suivre. Ils marchèrent longtemps. Elle se retournait de temps en temps pour l'inviter à le suivre. Enfin, après des heures, des jours, des semaines peut-être, ils arrivèrent dans une clairière. Il y avait un cours d'eau, des baies à profusion, le lieu ressemblait à notre Eden. Alors, la biche avait disparu et le chasseur avait compris. Elle l'avait conduit là, au péril de sa propre vie, pour sauver la sienne et lui donner un sens : pour qu'il fonde son propre village, son propre clan, qu'il enfante sa lignée. La biche avait une âme. La biche serait sa mère symbolique. Les Grecs y auraient vu un dieu de l'Olympe déguisé. Ainsi, chaque partie du monde a développé sa propre version de la création du monde, de l’origine de l’humanité, du sens de l’existence, et elle en rend compte par l'intermédiaire du mythe. Et dans certaines parties du monde, le mythe se confond toujours aujourd'hui avec ce que nous appelons l'Histoire.

Le mythe est transmis d'abord par voie de tradition orale d'une culture, puis il est intégré dans sa tradition écrite et enfin, il se retrouve en filigrane dans toute la littérature qu'elle produit. "Il motive un mystère" aurait dit Michel Butor.


- Le mythe est formateur.

Le mythe donne sous bien des aspects des leçons de vie à celui qui le lit. Elles sont encore actuelles : le mythe de Sisyphe, condamné par un dieu auquel il a désobéi, à un travail qui n'a aucun sens - pousser un rocher jusqu'au sommet d'une montagne pour qu'il en dégringole aussitôt - a été utilisé par Camus dans un livre éponyme pour démontrer l'absurdité de l'existence. Sisyphe, c'est Charlot dans les temps modernes, mais c'est aussi l'employé poussé au burn-out, voire au suicide, dans les entreprises du XXIème siècle. Et toutes les instragrameuses, à moins que leur rêve ultime ne soit qu'une fleur porte leur nom après leur mort, feraient bien d'apprendre que l'histoire de Narcisse ne finit pas bien.


C'est dans le conte, la version populaire du mythe, que cette fonction éducative trouve sa meilleure expression. Les contes mettent en garde les enfants, sur le loup qui n'est pas que le loup, et sur beaucoup d'autre choses de la vie qui sont du même acabit. Je vous renvoie pour le comprendre à une autre de mes lectures de jeunesse, celle de Psychanalyse des contes de fées (The Uses of Enchantement) Bruno Bettelheim en 1976. Je me souviens l'avoir lu très vite - j'avais dix ans, je crois - et en même temps que mes petits camarades étaient encore à l'âge de lire des contes comme Blanche-Neige ou La Belle et la Bête, j'y découvrais de grands thèmes comme le complexe d'Œdipe et les épreuves que j'aurais à surmonter pour survivre jusqu'à l'âge adulte. Ce livre qui semble une resucée de A Psychiatric Study of Myths and Fairy Tales : their origin, meaning, and usefulness, de Julius Heuscher, moins connu, a le mérite de montrer en quoi les mythes populaires sont indispensables à la construction de l'esprit humain.



Le mythe, fondateur et formateur, est donc en trame de toute production écrite. Kenneth Atchity, dans ses excellents guides d'écriture "Writer's time" et "Sell your Story to Hollywood", parle de l'importance de dégager la trame mythique de votre récit. Son postulat est que le fait de prendre conscience du mythe qui sous-tend votre histoire, va vous permettre de le travailler, de sorte que votre public qui va y retrouver cette même trame mythique, puisse y adhérer.

Pour ce faire, il faut résumer votre histoire en une ligne et voir à quel mythe elle correspond. La traduire en langue mythique. Ainsi, "Eat, Pray, Love", où une jeune divorcée part en Inde pour un voyage initiatique qui la conduira à la découverte d'elle-même" est la version contemporaine du mythe de la quête, celle du prince en exil qui traverse des contrées inconnues où il affronte mille obstacles jusqu'à la découverte du trésor.

Une fois le mythe identifié, il vous est loisible d'en faire mille variantes, l'objectif étant que la vôtre soit unique.



Faut-il que la trame mythique soit apparente ? Non évidemment. Elle peut affleurer à la surface ou à l'opposé être tout à fait noyée, voire absente. Plus le mythe sera visible plus le succès commercial est garanti - Pensons aux franchises Marvel - et moins le succès d'estime sera présent - les critiques trouveront qu'en recopiant le mythe, vous avez choisi la facilité. À l'inverse, moins le mythe sera visible, plus le succès d'estime sera probablement garanti (et le succès commercial sera vraisemblablement absent). Donc, il s'agira de trouver la juste profondeur pour que le mythe sous-tende votre récit sans que ce soit de la grosse ficelle. À l'opposé, sans trame mythique, il faudra beaucoup de connexions ou beaucoup de talent, voire du génie, pour qu'on parle de votre livre. Mais c'est possible, il y a des ovnis en littérature. Au cinéma aussi.


Faut-il que le mythe soit universel ? Soyons honnêtes, plus le mythe est universel, plus le public va s'y reconnaître. Qu'est-ce que c'est qu'un mythe universel ?

Joseph Campbell, qui était professeur de littérature au Sarah Lawrence College et qui a consacré sa vie à l'étude comparée des mythologies et des religions, estimait qu'il y avait des traits similaires, des récurrences dans tous les mythes. Si bien qu'il en avait déduit l'existence d'un monomythe, d'un héros aux mille visages, qui serait en réalité partout le même, juste portant un masque différent selon la culture dont il se réclamerait. Les travaux de Campbell, qui ont influencé George Lucas pour la création de la saga Star Wars, n'ont pourtant pas résisté au multiculturalisme post-colonial. La tendance est aujourd'hui que chaque peuple, chaque ethnie, chaque village, revendique sa culture comme étant originale et à nulle autre pareille. Comme d'habitude, la vérité est sans doute quelque part entre ces deux positions.


À défaut de mythe universel, disons qu'il existe certainement une mythologie dominante dans la société occidentale, au sens culturel et non pas géographique du terme : en gros, celle née autour du bassin méditerranéen avec une limite spatiale, le Tigre et l'Euphrate, et temporelle, -6000/-3000 ans ; les mythologies égyptiennes et hébraïques, réinterprétées par les navigateurs grecs, pour être répandue ensuite par l'Empire romain, et enfin investir tout l'Occident. Tels sont les mythes aujourd'hui en tronc commun de toute la société occidentale. On y retrouve également quelques mythologies celtiques (Thor, Odin) et quelques récits merveilleux et contes arrivés de l'Est par la route de la soie (Cendrillon serait un conte chinois.).

Si vous choisissez de mettre derrière votre récit une trame mythique Aztèque ou Aborigène, cela ne parlera pas de la même façon au public occidental.


Mais si vous avez du génie, peu importe le mythe. Puisque vous écrirez la légende.


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