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L'ÉCRIVAIN ET LE VOYAGE NARRATIF

Parce que les mots font voyager, je préfère envisager la structure narrative comme un voyage plutôt que comme un schéma. Mais ce voyage, c'est votre protagoniste qui va d'abord l'entreprendre.

Au début, le protagoniste est assis sur une rive tranquille, celle de son quotidien. Un quotidien, qu'il soit banal ou dystopique, dans lequel il a ses repères, ses habitudes, Vaguement insatisfaisant, sans surprise. Mais rassurant. Puis survient un événement qui va rompre cet équilibre et c'est alors que le récit commence pour se poursuivre jusqu'au dénouement, celui d'un nouveau point d'ancrage.


On peut sommairement définir les étapes du voyage narratif que le protagoniste va entreprendre comme il suit :


- L'exposition : celle de sa situation initiale. On y décrit qui il est, quel est son environnement socio-culturel, on laisse entrevoir ses aspirations.


- L'incident déclencheur : celui qui perturbe et fait basculer le protagoniste dans une situation de déséquilibre et l'oblige à commencer sa quête jusqu'à une nouvelle situation d'équilibre.


- Les complications progressives : celles des péripéties et obstacles croissants qui se mettent sur la route du protagoniste, qui l'aguerrissent et préparent sa transformation.


- La crise : la dernière des complications progressives, celle du point de non-retour, quand il n'y a plus assez de kérosène pour faire demi-tour.


- Le climax : le point culminant, celui où le protagoniste entre dans le "programme essorage" de la machine à laver. Il va passer par l'œil du cyclone et il en sortira radicalement différent.


- La résolution (ou dénouement) : celle d'un nouveau point d'équilibre atteint par le protagoniste. Plus avantageux si la fin est heureuse, plus dramatique si elle ne l'est pas. Jamais le même que celui du départ, sauf s'il s'agit de tourner la quête du protagoniste en dérision (satire sociale ou histoire drôle).



Ce que le protagoniste poursuit avec fébrilité pendant toute l'histoire, c'est en réalité de retrouver une situation d'équilibre dans laquelle il va pouvoir s'ancrer. Mais la définition de cette nouvelle zone de confort et ses attentes seront devenues forcément différentes parce que le voyage l'aura changé.


Néanmoins, si toutes ces étapes sont absolument indispensables pour construire un récit intéressant, il n'est pas nécessaire que l'auteur les développe toutes avec la même importance ou les présente au lecteur dans l'ordre.


Ainsi, les récits modernes font souvent l'impasse d'une longue exposition. L'heure n'est plus aux descriptions académiques des paysages et des visages. Le décor est souvent planté en deux ou trois phrases et le reste des détails est distillé au fil du récit. Et encore, seulement quand ils sont utiles à l'action.

Ainsi également, la résolution ne connaît pas nécessairement un dénouement au sens classique du terme : la fin est souvent "ouverte", laissant le lecteur imaginer toutes les issues possibles pour le protagoniste.


Quant à l'ordre dans lequel le récit sera livré au lecteur, il n'a d'autre impératif que d'être efficace : comment passionner le lecteur de la première ligne à la dernière, voilà l'objectif. Les deux constantes sont qu'il faut que le livre commence par un incipit qui accroche le lecteur dès les premiers mots et qu'il se termine par une fin satisfaisante qui lui permette de conclure que, oui, décidément, il a adoré le livre. Et que bien sûr, il le recommandera chaudement, et que surtout, il attendra impatiemment votre prochain livre.


Mais entre le début et la fin, tout ordre est possible, pourvu qu'aucun élément ne manque.

Par exemple, la scène d'ouverture du livre pourrait être celle la résolution, celle du héros qui a survécu et qui contemple son passé. Ou le climax, avant de revenir à ce qui y a amené. Ou la crise, ce qui permettrait que le lecteur entr'aperçoive le point de rupture, sans savoir encore ce qui y a conduit ni ce qui se passera après. On peut aussi remonter le cours du temps. Alterner les flash-backs. Entremêler les récits de protagonistes différents, jusqu'à ce que les histoires s'éclairent à la lueur les unes des autres. Entrelacer un récit secondaire. Tout est possible pourvu que l'objectif soit atteint : captiver le lecteur.


Alors comment faut-il procéder ?


Tout dépend de votre nature.

Si vous aimez les choses organisées, ou que vous avez besoin de repères pour ne pas vous perdre dans votre chaos intérieur, organisez votre histoire autour de cette structure narrative. Planifiez le voyage de votre protagoniste. Puis rédigez, et seulement après votre premier jet, une fois que vous serez bien certain de n'avoir rien oublié, rebattez les cartes pour optimiser l'efficacité de votre récit. Ne vaut-il pas mieux commencer par ce grand retournement ? Ce long dialogue, ne gagnerait-il pas à être saucissonné ? Etc.


Si vous croyez à l'inspiration et que les mots coulent à flots dès que vous vous mettez à votre bureau, ne vous posez pas de question, allez-y, profitez-en. Mais quand vous aurez fini votre premier jet, et après vous être éloigné de votre manuscrit pendant un laps de temps suffisant pour qu'il vous soit devenu un objet étranger, reprenez-le et confrontez-le à la structure narrative. Vous constaterez des longueurs à certains endroits, des omissions à d'autres. Vous supprimerez des passages, vous en réécrirez d'autres, presque certainement la fin et le début.


Peu importe finalement, la méthode qui fonctionne est celle qui vous permet d'écrire. Et d'être lu. Avec plaisir. Avec gourmandise. Avec délectation. N'oubliez jamais que vous écrivez pour être lu. Vous êtes un écrivain.


Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones


Retrouvez son interview :




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