top of page
Rechercher
Photo du rédacteurJean Jauniaux

La quatrième chaise - Pièce de théâtre en un acte de Jean Jauniaux



Pièce de théâtre en un acte.

Un monologue

Seul en scène


Un homme d’une cinquantaine d’années, cheveux blancs, maigre, entre sur scène. Le décor : une chambre, meublée a minima d’un lit, d’une table de nuit, d’une table et de quatre chaises disposées de chaque côté de celle-ci. L’homme dépose sa mallette sur la table. Il enlève son imperméable qu’il plie soigneusement et dépose sur le dossier de la chaise qui fait dos au public. Il est vêtu d’un costume gris anthracite, d’une chemise bleu-pâle. Une cravate mal nouée entoure son cou. On pourrait penser qu’elle a servi à une tentative de suicide. Toujours debout, il ouvre sa mallette. Il jette des coups d’œil furtifs autour de lui, comme s’il craignait d’être observé. De sa mallette il sort une liasse de feuilles, recouvertes d’un texte tapé à la machine. Un plumier, dont il sort un bic rouge qu’il dépose sur les feuilles qu’il a disposées soigneusement en ordre sur la table, à hauteur de la chaise qui fait face au public. Il sort une enveloppe en papier kraft qu’il dépose sur la table avant de refermer sa mallette et de la mettre sur la chaise côté cour. Il s’assied face au public et commence à lire, à voix haute, à la manière  d’un discours dont il vérifierait le déroulé une dernière fois avant de le prononcer en public. Il s’éclaircit la voix. Renoue son nœud de cravate, frotte un peu de poussière sur le revers de son veston. Regarde le public.


 

 

 

 

Vous ne me connaissez pas.

Il prend le bic rouge et après une hésitation, il barre les premiers mots et les remplace par une nouvelle phrase. Il reprend, en insistant sur le « Je » initial.

Je ne vous connais pas.

Contrairement à vous… qui savez tout sur moi. En lisant mon nom au verso de l’enveloppe dans laquelle je glisse cette lettre, vous l’aurez immédiatement associé à celui que vous avez fait circuler tant de fois dans les « avis de recherche » et autres documents officiels justifiant les plaintes déposées contre moi.

Il s’interrompt. Essaie à voix plus basse des synonymes

« Justifiant »…expliquant… détaillant…

Il s’arrête sur cette formulation là, qu’il redit en l’écrivant au bic rouge.

« Dé-tail-lant… »

Il poursuit la lecture d’une voix plus emphatique.

Je vous imagine tenant l’enveloppe entre vos doigts, la palpant pour en évaluer le contenu,

Il mime le geste en prenant l’enveloppe

le nombre de pages, les objets éventuels qui y ont été glissés.

Je vous devine ouvrant l’enveloppe. Voilà un geste dont on n’a plus l’habitude de nos jours. Vous avez dû écarter le clavier de votre ordinateur pour pouvoir déposer à plat sur votre bureau les feuillets imprimés sur du papier à l’en-tête de l’Ambassade.


Vous reconnaissez le blason. Et la devise bien sûr : Dieu, patrie et liberté. Je ne connaissais pas la devise de mon nouveau pays d’accueil avant de m’y réfugier dans son ambassade. A quelques mètres, dans le même quartier diplomatique de Londres, j’aurais pu être accueilli sous l’antienne Libre et Heureux par l'Union ou encore Liberté et ordre.

Cette dernière formulation, que vous relisez en souriant, doit vous sembler bien contradictoire. Liberté et ordre. Je vous imagine aller sur un moteur de recherche et tenter de retrouver le pays qui s’est doté d’un tel programme ! Vous craignez peut-être que j’aie quitté « mon » ambassade, celle où vous m’avez déniché et que vous avez encerclée. Vous craignez que je me sois réfugié dans une autre?

Non. Non. Je vous rassure. Je suis toujours là.

Il prend le bic rouge et ajoute

Là, où j’ai vécu ces dix dernières années.

Vous le savez, j’étais pris au piège de ce refuge diplomatique avec interdiction  de sortir de l’enceinte du bâtiment. Un diplomate et sa famille avaient accepté de m’accueillir et de me protéger des poursuites que vous lanciez contre moi.

On entend la rumeur qu’il évoque à présent : bruits de pluie, klaxons, voitures qui démarrent etc

Pendant toutes ces années, je n’ai eu d’autre contact avec le monde extérieur que la rumeur qui m’en parvenait à travers les fenêtres entrouvertes en été. Ou par le conduit de la cheminée aux autres saisons de froid et de pluie.

Il prête l’oreille aux bruits extérieurs, comme pour vérifier si ce qu’il lit correspond toujours à la réalité.

Avez-vous visité le Musée juif à Berlin ? L’architecte Daniel Libeskind y a conçu dans une des salles, « la Tour de l’Holocauste » : haute et noire, ouverte par un orifice étroit à son sommet, d’où on entend faiblement le bruit de la ville, (il interrompt sa lecture et ajoute au bic rouge), le bruit de la vie : le vacarme du quotidien, les jeux des enfants dans le parc, les coups de klaxon de l’automobiliste pressé, les sonnettes des bicyclettes.


Ici, à l’ambassade, je ressens encore la sensation qui m’avait étreint naguère à la visite de ce lieu qui vous terrasse à la fois par l’enfermement, l’obscurité et l’indifférence.

Je pressens que vous comptez sur la lassitude de l’opinion publique à mon égard. Vous devez vous dire : « Bientôt l’ambassadeur de X (le nom du pays où je serai…) priera son hôte de prendre les dispositions pour quitter les lieux »

Avec quelle avidité vous devez guetter les échos de « votre » prisonnier ! Avec quel zèle, depuis tant d’années, vous lisez la presse, les réseaux sociaux, les sites dédiés aux droits humains !

Il se lève et arpente la pièce comme si la lecture de cette phrase avait éveillé une colère soudaine, irrépressible. Il crie presque :

Vous feuilletez les pages et faites défiler les écrans pour savoir si de nouvelles alertes ont été lancées vous concernant. Oh ! ce n’est pas « vous » individu, fonctionnaire zélé qui seriez visé, mais « Vous » le gouvernement dont vous protégez les secrets nauséabonds, les manœuvres et les complots. « Vous » l’administration militaire qui édicte les règlements d’exception. « Vous » la grande puissance aux pieds d’argile.

Essoufflé, il s’assied. Prend un mouchoir dans la pochette de son veston, le déploie et s’essuie le front.

Mais cette lettre-ci, c’est à vous que je l’adresse.


Il reprend la lecture des feuillets, après avoir écrit la phrase qu’il vient de dire

…cette lettre-ci, c’est à vous que je l’adresse.

Un « vous » sans majuscule. Un « vous » qui serait doté de conscience, de cœur, d’intelligence, de mémoire. Avec un prénom, un nom, une famille, des enfants, des parents, des amis. Un « vous » qui, le midi, rejoint ses collègues pour un lunch au cours duquel on évoque un match de foot, un film vu au cinéma, un livre peut-être…

Je ne crois pas que dans ces moments-là vous parlez de vos dossiers. Je ne parviens pas à concevoir que vous pourriez par exemple évoquer les pénitenciers, implantés dans des régions à « impunité géographique », ni les procédures lancées pour débusquer celles et ceux qui courent encore en toute liberté, ou qui, comme moi, se terrent sous la protection diplomatique.

Il interrompt sa lecture. Levant la tête, il improvise cette phrase, avant de renoncer à l’écrire :

Dans les films noirs ou les séries Netflix, on vous verrait lire cette lettre à travers vos lunettes aux verres épais, visage penché à quelques centimètres de la feuille, éclairée par une lampe bleutée. Le décor de votre bureau serait vintage, comme ceux que l’on voit encore au musée de la Stasi à Berlin.


Il reprend la lecture.

Je n’espère pas vous émouvoir en évoquant mon sort, je n’espère pas modifier la conviction que vous avez d’agir pour le bien commun, ou celle de remplir votre devoir qui est d’obéir aux ordres. Au fond de moi, là ! dans des replis anciens de la conscience commune, je me dis tout de même que, ne fût-ce qu’un instant, vous vous demanderez « N’y aurait-il pas, malgré tout, de la dignité dans la démarche de celui-ci, que je ne connais pas, que je n’ai jamais rencontré, et que je poursuis au nom d’une loi dont je ne crois pas avoir lu le texte. Ne devrais-je pas le saluer au lieu de le poursuivre ? »

Et puis, vous écrire, à vous personnellement c’est pour moi une manière de me consoler d’un système qui m’a littéralement broyé, d’un dispositif autonome et sans conscience. Par ce courrier, je lui donne une identité, une âme, une existence humaine.


Il abandonne la lecture et comme s’il méditait à voix haute, s’interroge :

Il y aurait ainsi, aux derniers instants de ma vie, l’espoir insensé que mon destin sera scellé par la décision d’un homme et non d’un algorithme.

Il reprend la lecture de ses feuillets

Si je veux instiller le doute, proposer un raisonnement nouveau, interroger les motifs qui vous guident, c’est à la raison humaine que je dois m’adresser, et pas à l’engrenage d’une administration livrée à elle-même.  Qu’est-ce qui vous donne l’autorité de pourchasser - comme vous le faites, sans état d’âme, sans vous poser la moindre question - les citoyens qui, comme moi, ont voulu vous prévenir, oui, vous alerter, vous ! de dérapages dont vous ignorez tout. Au titre de la loi que vous êtes chargé d’appliquer, vous renoncez à vous interroger sur votre mission : faire taire celles et ceux qui comme moi empruntent un chemin de traverse d’où ils vous montrent du doigt !

Il reprend souffle

Je vous imagine, pianotant chaque matin sur le clavier de votre ordinateur, pour suivre les déplacements de « Anything to Say? ». Vous connaissez cette sculpture monumentale de Davide Dormino ? Elle représente, chacun debout sur trois des quatre chaises debout sur une chaise les lanceurs d'alerte : Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning.


Il prend successivement chacune des chaises qui entourent la table (sauf celle qui fait face au public) et les disposent en ligne, face à la salle. Il redit en les scandant les noms de chacun des lanceurs d’alerte au moment de déposer chaque chaise. Puis, d’un geste il les désigne à nouveau et clame leurs noms comme si son interlocuteur allait entendre sa voix.

Edward Snowden !

Julian Assange !

Chelsea Manning !

Il continue, en invectivant son interlocuteur imaginaire

Vous les connaissez bien, ceux-là. Ils ont hanté vos jours et vos nuits pendant des années. Mais ce qui vous intéresse dans vos recherches frénétiques sur le web, c’est la quatrième chaise de cette sculpture : la chaise vide ! Celle-ci !

Il se place derrière la chaise restée à table. Il l’empoigne par le dossier et la frappe avec force sur le sol 

Celle-ci ! La mienne ! Celle de mes camarades !!!


Il se rassied. Reprend la lecture de sa lettre.

Dans tous les endroits publics où la sculpture est installée, elle est destinée à chacun qui, dans le public, parmi les passants, souhaiterait s’y tenir debout en solidarité avec les Whistleblowers. Je vous devine, devant votre écran, allant d’une page à l’autre des sites d’actualité qui évoquent cette installation, agrandissant les photos de celles et ceux qui ont pris place sur la chaise vide  et qui vous narguent ainsi.


Il suspend à nouveau sa lecture, comme s’il hésitait à écrire ce qu’il dit à présent, songeur…

Vous avouerais-je qu’un jour je me suis éclipsé de l’ambassade.

Coiffé d’une perruque, visage dissimulé derrière une moustache tellement ridicule qu’elle n’a pas attiré l’attention des guetteurs que vous renouvelez d’heure en heure aux sorties du bâtiment consulaire. Je me suis rendu sur la Grand-Place où les chaises avaient été installées pour une manifestation à venir.

J’ai escaladé la chaise vide. Je m’y suis tenu debout, respirant à pleins poumons la liberté de ce premier jour de printemps. Sous le soleil je me suis recueilli pendant quatre longues minutes. Les trois premières étaient dédiées à chacun de mes voisins éphémères, Edward, Richard, Chelsea. Je sentais mon cœur battre de peur, mais aussi de cette indignation que mon geste alimentait d’une ferveur nouvelle, intense, douloureuse presque.


Il mime l’effroi et la suspicion d’être reconnu.

Je faillis renoncer à la quatrième minute, croyant avoir identifié dans la petite assemblée de curieux qui s’était réunie au pied de la statue, une silhouette habillée comme je vous imagine vous et vos collègues, dans l’imagerie de la guerre froide : costume gris flottant, chemise blanche, cravate mal nouée, dos voûté, regard fuyant.

Silence. Il sourit.

Vous vous reconnaissez ?

Il reprend avec force et conviction, comme celles qu’il retrouvait lors de l’épisode de liberté retrouvée qu’il évoque.

Mais je tenais à cette quatrième minute, comme l’athlète qui approche de la ligne d’arrivée à bout de souffle et puise dans ses dernières réserves la puissance suffisante pour la franchir.


Après un silence où, d’un haussement d’épaules, il fait comprendre qu’il n’ajoutera pas cette réflexion à sa lettre, il se rassied et reprend la lecture.

Je ne sais si vous croyez aux forces souterraines de l’Histoire ? Celles qui nourrissent la conscience de l’humanité par la connaissance des erreurs, des tragédies, des actes absurdes commis dans le passé ? Ceux-là que nous pourrions aujourd’hui éviter de recommencer.

J’ai eu le temps, dans la bibliothèque de l’ambassade, de faire des recherches sur celles et ceux qui m’ont précédé, qui ont pris le risque personnel de dénoncer, je cite :

(Il lit avec solennité la citation) 

« un fait pouvant constituer un danger pour l’homme ou son environnement, et <…> de <le> porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics ».

Il relit les premiers mots plus lentement

« un fait pouvant constituer un danger pour l’homme ou son environnement »…

Je reprends ici la définition de la Fondation « Sciences citoyennes » que vous trouverez facilement sur internet (mais vous avez sans doute déjà constitué pour votre usage personnel un répertoire des définitions du « lanceur d’alerte »). En écrivant « whistleblower » sur n’importe quel moteur de recherche, vous avez trouvé sans peine de quoi rassasier votre curiosité… à moins que vous ne vous contentiez des directives de votre hiérarchie, bien sûr.

Il redit en les chantant presque le mot « whistleblower »

« Whistleblower…whistleblower »…quel beau mot n’est-ce pas, il chante, il est mélodieux, apaisant, pacifique ce mot « whistle-blower ».


Il reprend la lecture de sa lettre

Faisons un peu d’histoire.

Sur votre clavier, tapez la date du 31 octobre de l’année 1517, ou le nom de Wittenberg. Vous y lirez les faits et gestes d’un des premiers lanceurs d’alerte. Savoir que l’on peut qualifier de tel … Martin Luther, oui Martin Luther ! va-t-il ébranler votre perception de ce que sont réellement ces activistes que vous pourchassez ? Voici un homme d’église qui a choisi de devenir un whistleblower, c’est à dire d’obéir à sa conscience plutôt qu’à sa hiérarchie.  

C’est de l’histoire ancienne, me direz-vous. On ne peut comparer à ce qui nous occupe aujourd’hui.

Fort bien.

Tapez donc le nom d’Edmund Dene Morel, et intéressez-vous à cet écrivain et journaliste britannique. Il fut parmi les premiers à dénoncer ce dont, grâce à son emploi au sein de la compagnie maritime anversoise Elder Dempster, il avait eu connaissance : les exactions commises par les colons belges au Congo à la fin du XIXe siècle avec la « bénédiction » de Léopold II, roi des Belges, mais aussi et propriétaire à titre privé ! d’un des territoires les plus riches de l’Afrique.

Pour arriver à ses fins et sensibiliser l’opinion publique aux exactions perpétrées contre la population civile dans le bassin du Congo, Morel fonda un journal (le West african mail), un journal ! vous vous rendez compte ! et une association humanitaire, la Congo Reform Association. Aah ! Vous en auriez eu du travail avec de pareils adversaires ! Et à ses « complices » comme vous les appelleriez ! A ses engagements il réussit à associer des écrivains comme Mark Twain ou Arthur Conan Doyle (excusez du peu), mais aussi des universitaires et des hommes politiques, y compris en Belgique.

Vous connaissez la suite… ? Non ?  Le roi Léopold II se sépara de sa « propriété » d’Afrique, où il ne mit jamais les pieds. Celle-ci devint « colonie », puis Etat indépendant.

Mais revenons à Morel : au départ de cette histoire, il y a eu un homme, un homme seul, contre un système. Une conscience contre un faisceau d’intérêts économiques. Un individu contre un ordre économique. J’en suis persuadé : ce combat de Morel doit vous sembler bien familier, dans ses instruments et dans ses finalités… N’est-il pas fort semblable à celles et ceux que vous avez aujourd’hui la mission d’abattre ?


Il prend une nouvelle feuille et écris, presque frénétiquement, la suite qu’il dit à voix haute tout en l’écrivant vite, comme pour ne pas oublier ces éléments-ci qui complètent son argumentation.

Intéressez-vous à l’Histoire. Elle vous donnera d’autres exemples : Henri Dunant, oui ! le Fondateur de la Croix Rouge ; Jan Karski, ce résistant polonais dont vous avez entendu le poignant témoignage dans le film Shoah de Claude Lanzmann, le premier à avoir informé les forces alliées des projets d’extermination que préparaient les Nazis ; W. Mark Felt, « Gorge profonde » sans qui le scandale du Watergate n’aurait jamais été dénoncé ; Erin Brockovich une des premières à avoir dénoncé un crime écologique : l’empoisonnement industriel de l’eau potable d’une région (à qui on pourrait aujourd’hui assimiler le combat mené par Eric Jonckheere, victime et infatigable pourfendeur de l’empoisonnement de dizaines de milliers d’hommes, femmes et enfants par l’usage de l’amiante, notamment dans le secteur du bâtiment).

Dans vos protocoles et instructions, vous dit-on que le lanceur d’alerte est

(il lit avec application, détachant chaque mot) «  <…> une personne qui, dans le contexte de sa relation de travail, révèle ou signale un état de fait mettant en lumière des comportements illicites ou dangereux qui constituent une menace pour l'homme, l'économie, la société, l'État ou l'environnement, c'est-à-dire pour le bien commun, l'intérêt général. ».

Il médite un instant. Redit la fin de la citation :

« Une personne qui (…)signale un état de fait mettant en lumière des comportements illicites ou dangereux qui constituent une menace pour l'homme, l'économie, la société, l'État ou l'environnement, c'est-à-dire pour le bien commun, l'intérêt général. ».


Il reprend une feuille vierge et écrit sous sa propre dictée à voix haute

Dans cette définition, le mot le plus important est peut-être celui qui désigne le whsleblower : une « personne ».

Voici un mot ambivalent. Il désigne à la fois « quelqu’un » et l’absence de ce « quelqu’un ».

Peut-être en lui donnant ces identités singulières que sont Henri Dunan, Edmund Morel, Martin Luther, Jan Karski, Eric Jonckheere et tant d’autres, serai-je parvenu, au bout de cette lettre, à créer chez vous un trouble, aussi léger fût-il ; qui vous fera vous relever de la lecture de ce feuillet, le dernier de cette longue lettre, jeter un coup d’œil à votre diplôme d’excellence suspendu au mur.  

Et si connaître votre supposé ennemi, ses motivations, son inspiration vous rendait soudain téméraire ? Eveillait votre colère, la vôtre, sincère, inspirée par ce que vous savez et non par ce qu’on vous dit d’ignorer.

Je rêve sans doute.

Je m’illusionne en pensant vous changer, vous restituer le libre arbitre, éveiller en vous cet esprit critique que des années de « bons et loyaux services » ont élimé jusqu’à la trame, comme ce costume gris qui vous rend anonyme, « sans nom ». Vous fait devenir « personne », dans le premier sens du terme : nobody !

 

Et si vous vous leviez, quittiez votre bureau, et preniez place, debout, sur la « chaise vide » comme tant l’ont fait déjà à Berlin, Paris, Bruxelles, Genève…?

Ici, à mes côtés…

 

Il se lève de sa chaise. Prend celle-ci et la dépose au bout de la rangée composée des trois premières chaises.

Il revient vers la table.

Rassemble les feuillets et les glisse dans l’enveloppe qu’il referme et laisse bien en évidence au milieu de la table.

Défait sa cravate. Escalade la chaise.

Se tient immobile. Juste avant le « noir » brutal, sa tête se penche brusquement comme celle d’un pendu.

A l’arrière plan, se projette la photographie de la sculpture « La quatrième chaise »

 

Jean Jauniaux

septembre 2022 / mars 2023


169 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page