Au milieu des nouvelles dramatiques et flippantes de l’actualité, parfois je vois passer des infos moins capitales, à connotation plus « féminine ».
Par exemple saviez-vous que, à 52 ans, Jennifer Lopez « enflamme la toile » avec une photo d’elle entièrement nue, qu’à 55 ans, Salma Hayek est toujours « sublime en bikini », que Madonna publie des photos de son nouveau cul sur Instagram tandis que Sophie Marceau pose topless en couverture de ELLE. Je parle d’infos à « connotation féminine » parce qu’il est plus rare de voir un homme quinquagénaire s’exhiber en slip à la Une d’un magazine pour montrer qu’il est encore «bien conservé ». Bien sûr, à l’occasion, certains acteurs ne manquent pas de dévoiler leur tablette de chocolat dans des films, mais il me semble que c’est de manière moins obsessionnelle.
Depuis le début de l’humanité, la beauté et la jeunesse ont toujours été des sujets de fascination, et c’est bien compréhensible. Mais je ne suis jamais très emballée quand je vois des femmes se démener pour nous prouver, à longueur de shooting, qu’elles sont toujours « dans le coup». Ça a quelque chose de touchant mais aussi d’un peu pathétique.
Depuis peu est apparu le phénomène inverse. Désormais, on nous agite sous le nez des corps « différents », des bourrelets, des ventres flasques, des cuisses flageolantes et des culs tremblotants avec l’injonction de s’extasier : Whaow, quel courage, quelle liberté, de se montrer ainsi. Comme c’est « inspirant », comme elles sont « puissantes »… Et malheur à vous si vous osez émettre la moindre réserve. Si la vue du ventre fripé d’une sexagénaire en string ou d’une femme obèse en robe transparente, ficelée comme un rôti de dindonneau ne suscite en vous qu’une moue dubitative ou un début de fou-rire, vous serez immédiatement cloué au pilori de la « non-inclusivité ».
Je constate pourtant que, une fois de plus, ce mouvement « body positive » est très rarement masculin. Je n’ai encore jamais vu de publicité dans le métro avec un sexagénaire ventripotent à moitié nu pour vendre des sous-vêtements. Ça viendra me direz-vous… Je n’ai pas hâte.
En ce qui me concerne, j’observe ces deux tendances avec la même perplexité. Je ne vois aucune « libération » et aucun féminisme dans le fait de s’évertuer constamment à se montrer à poil au plus grand nombre. Ça ne me choque pas du tout, mais ça ne m’inspire pas non plus. A vrai dire, je m’en fous.
Ça me fait penser à cette émission très con des années 2010, qui s’appelait « Belle toute nue » où une candidate en surpoids et en difficulté avec son corps, était coachée et ré- éduquée pour apprendre à se mettre en valeur, jusqu’à ce qu’elle assume de voir une photo de son corps entièrement nu, projetée sur un écran géant en plein Paris et qu’elle déclare « se trouver belle ». Comme si, s'afficher dénudée et « se trouver belle » était l’ultime aboutissement de toute une vie de femme.
Inutile de dire qu’il n’a jamais existé de version masculine de ce programme.
Selon mon humeur, cet exhibitionnisme de la beauté relative ou de la laideur relative, cette obligation de s’extasier sur l’une ou sur l’autre, m’amusent ou me fatiguent. Les années passent, les époques changent et de génération en génération, finalement, on se résigne à n’être que « ça ». Des corps. Des culs, des seins, des visages. Des rides ou du Botox. Des muscles ou de la graisse.
J’ai l’impression que, entre les abdos de Jennifer Lopez, le cul siliconé de Madonna et ces silhouettes dénudées vieillissantes ou déformées, les corps crient toujours la même chose : « Regardez-moi, dites-moi que je suis belle malgré mon âge / mon poids. Regardez-moi, sinon je n’existe pas. »
Pour ma part, de Fanny Ardant à Catherine Ringer, de Valérie Lemercier à Clarisse Agbégnénou, en passant par Simone Veil, Claudie Haigneré ou Colette, les femmes qui m’inspirent et me touchent sont souvent bien mieux que « belles ».
La vraie libération, ce sera quand nous, les femmes, nous ne nous se sentiront plus obligées de brandir sans cesse notre apparence, quelle qu’elle soit, en étendard. Quand on n’aura plus besoin d’être en permanence rassurées sur notre désirabilité, parce que, être « désirable », ne sera plus un unique graal. Quand l’attention, le regard et l’approbation des autres sur notre physique seront accueillis soit avec grand plaisir, soit avec indifférence, mais qu’ils ne nous seront plus indispensables.
C’est du boulot. Pour certaines, c’est l’apprentissage de toute une vie.
Faire la paix avec son corps. Se mettre en maillot. Sans crainte. Sans pression. Regardez-moi. Ne me regardez pas. Je m'en fous. Je vais me baigner. Ne rechercher ni la validation des autres, ni un jugement. Faire que son corps ne soit pas un combat, une souffrance, ou un sujet de vanité, mais juste, enfin, un « non-sujet » (sauf pour les gens qu’on a envie de séduire, mais c’est une autre histoire ).
Se mettre en maillot et revendiquer simplement le droit à l’indifférence.
Et ceux qui pensent que c’est facile peuvent aller se rhabiller !
Nathalie Bianco
Encore un magnifique texte Merci Nathalie