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Photo du rédacteurALAIN CADÉO

Le billet d'Alain Cadéo

Je partage cet échange du matin avec Alain Cadéo suivi de son billet du jour sur nos capacités à dépasser notre écriture instinctive. Ce mot - qui pourrait paraître intime - est en fait une formidable réflexion que tout auteur devrait digérer. Combien de fois n'avons nous eu l'impression de découvrir un livre déjà lu, tant il ressasse une écriture parfois figée dans son succès... À méditer.




Sandrine,

Bonjour à toi, je me permets de t’envoyer ce billet écrit le matin avant notre rencontre. Tu me demandais ce qu’était l’écriture pour moi. J’avais sans doute répondu comme toujours d’une manière quelque peu évasive. Les mots parlés ont rarement la densité des mots pesés, venus se poser sur une feuille ou un écran. Nul n’est jamais tenu de me répondre. Ce sont pensées à emporter comme on lit en secret, à la hâte, une lettre amie. Bonne journée à toi.


C’est vrai que l’on s’enferme vite dans un périmètre de mots, un bien petit troupeau de chèvres familières. Les miens je ne les connais que trop. Ils reviennent en boucle et se contentent de frôler le mur au-delà duquel sommeille un océan. Ils sont donc désuets, inefficaces et lancinants comme de vieux mantras, une prière usée ou un médicament tristement périmé. Comment faut-il les associer, les croiser, avec quoi les greffer afin qu’ils donnent vie à une espèce neuve levant le voile gris de toutes nos limites? D’ailleurs ne dit-on pas qu’on reconnait l’auteur à son style, comme un habit faisant le moine, la chrysalide d’un insecte parti depuis longtemps… Tout auteur qui ressasse, secouant dans son misérable godet les quelques dés dont il dispose, n’est qu’un petit joueur prudent ou un menteur faisant passer son jeu pour une quinte flushe alors qu’il n’a entre les mains que trèfle et bigorneaux. (Pardonnez-moi, je ne sais pas jouer aux cartes et n’ai trouvé que cette image pour illustrer mon triste propos.) Il utilise sans fin les mêmes procédés avec une poignée de mots dont il sait bien tous les effets. Ah c’est vrai que l’on peut dire qu’on le reconnait !

Mais pour ceux rêvant de mots comme des taches explosives, feux d’artifices ou TNT, il leur faut inventer de dangereux mélanges capables de briser les barrages en béton retenant toute l’eau des glaciers et des fleuves. Et comme ils sont très maladroits, il y a de fortes chances qu’ils soient eux-mêmes emportés par cette immense vague déferlant en toute liberté sur un désert qui redeviendra verger. Mais pour cela, il faut lâcher comme mille colombes les mots du renouveau et ne plus être identifié. Accepter de se noyer dans le lac si fertile du Verbe retrouvé.


Alain Cadéo


Les romans d'Alain Cadéo sont disponibles aux États-Unis




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