Linda Bastide a signé un roman biographique fort qui s'appuie sur une histoire familiale qui reste éprouvante, soixante-dix ans après. Entretien.
QUELLE EST LA GENESE DE VOTRE LIVRE ?
La tragédie vécue par mes beaux parents Knobel et leur fils - Bernard, aujourd’hui mon mari - est devenue, une fois découverte, la matière d’un livre essentiel pour moi. J’ai très vite eu, une envie irrépressible que cette histoire de famille ordinaire plongée dans l’horreur de l’Histoire, soit connue du plus grand nombre.
Je suis remontée d’abord jusqu’au long parcours de ces deux familles de juifs polonais -les Sachs et les Knobel- qui fuyaient les pogroms de Pologne en 1925. Ensuite j’ai orienté « les projecteurs » sur la branche des Knobel installés en Palestine (années 30), où ils étaient devenus sujets anglais.
J’ai aimé relater l’histoire de ce jeune couple au début de leur vie à deux. Jacob Knobel et Rifka Sachs tiennent à Haifa -où ils se marient- l’une des plus grandes pâtisseries de la ville. Au bout de cinq ans de travail acharné, ils décident, leur passeport anglais en poche, de partir en voyage de noces. Direction Paris où l’Exposition Universelle de 1937 bat son plein, la fameuse Tour Eiffel œuvre architecturale éphémère, symbole de la grandeur de l’industrie française, trône en majesté au cœur de l’exposition.
Je décris le Paris de l’époque au travers des longues promenades qu’ils font sur les quais de Seine, leur petit meublé au 355 Rue des Pyrénées, le travail de Jacob dans une boulangerie voisine, les relations solidaires de voisinage, le petit peuple laborieux des artisans et les chansons populaires vibrantes au coin des rues, la naissance de Bernard, leur fils en juin 1940.
Le destin frappe à la portedu jeune couple qui avait choisi de rester en France lors de la déclaration de la guerre. Un an avant le Vel d’Hiv, les gendarmes français exécutent leur ignominie : l’arrestation sur ordre de l’envahisseur allemand, des ressortissants américains et anglais résidant dans leur 20ème arrondissement.
Les parents de Bernard n’y échappent pas. Comme tous les autres citoyens femmes et hommes arrêtés, ils seront envoyés séparément dans des camps d’internement très spéciaux. Ils deviennent des otages et vont servir de monnaie d’échange pour récupérer les prisonniers allemands épars dans le monde mais aussi pour éviter que l’Amérique ne rentre en guerre.
Et tant qu’à faire, emprisonner de préférence des personnes susceptibles de faire du camp de rétention, un lieu de la fête et du bien vivre !
Pour exemple, dans le camp Saint Denis était emprisonné un orchestre anglais arrêté à la sortie de leur spectacle, salle Pleyel. Le chanteur de , jazz, le noir américain Harry Briggs restera à sa libération à Paris, où il est enterré à Montmartre.
Pour Jacob et Rifka, s’en suivent cinq longues années de solitude et d’incertitude extrême.
Le père dans le camp de rétention de Vichy puis de Saint Denis, où ses talents de pâtissier et de cuisinier, et en plus, sa nationalité anglaise vont lui sauver la vie. Merci aux allemands qui cultivaient le «bien manger » et la musique !
La mère et le petit garçon sont embarqués pour Besançon. Et pendant toutes ces longues années, ils restent sans aucune nouvelle les uns des autres, le père croyant que Rifka et son fils vivaient toujours dans leur quartier du 20ème, dans leur quartier du 20ème.
De fait, Rifka et Bernard, avaient été renvoyés rapidement chez eux du camp de Besançon quand les allemands avaient découvert que Bernard, comme d’autres enfants, était malade. Ce fut alors des journées et des nuits sans fin pour Rifka, à attendre le retour de Jacob.
Des cartes postales reçues à l’adresse de leur meublé du 20ème pour célébrer le passage des saisons ou des anniversaires, toutes sans signatures pour mieux échapper à la censure, maintenaient un semblant d’espoir...
Quand Jacob rentrera, tous les pauvres souvenirs ramenés de sa rétention, sous forme de centaines de photos, dessins, cartes postales ont été conservés cachés, dans un grand sac pendant des années.
Dès lors où ils ont refait famille, pour Rifka et son Jacob, le bonheur était avant tout, devant eux ! Il sera toujours temps de faire ressurgir ces souvenirs de l’oubli.
QUELLES SONT LES SOURCES DU LIVRE ?
Au décès de Rifka, j’ouvre enfin le sac à souvenirs. A l’intérieur quelques 350 photos ou illustrations, dessins des prisonniers , documents officiels d’identité de Jacob : un trésor dont je vais émailler mon roman !
Ces photos, et documents officiels de Jacob ont été le ciment d’une histoire que j’ai voulu romancée sur la forme, mais plutôt réaliste dans le fond. Mon livre est donc une fresque à teneur historique, sans que j’ai voulu faire oeuvre d’historienne.
Le ton ? Celui d’un roman que l’éditeur a qualifié de biographique qui sans cesse balance entre passé et présent, que je décris avec des éléments de langage cinématographique, celui de mon 2ème métier de comédienne et qui me permet d’exprimer toutes mes émotions.
Face à mes nombreux questionnements, Bernard lui, n’avait que de maigres souvenirs de cette époque, bien enfouis dans les replis de sa mémoire d’enfant. Tout juste a-t-il évoqué ce jour de ses cinq ans, où un monsieur est venu frapper à la porte de leur appartement.
« C’est qui ce monsieur maman, il me fait peur ? ». C’est Jacob, enfin libéré et venu retrouver sa femme et son fils.
Mon livre a été aussi le début de longues recherches :
-Auprès des archives militaires pour vérifier l’authenticité des titres que j’avais en main.
-Auprès du musée de la Shoah qui m’a permis d’acquérir très vite la certitude que rien, sur ce camp de rétention n’avait été historicisé, au contraire des camps de concentration. J’allais donc être la 1ère dépositaire de cette « histoire » ?
Ma conviction était faite. « Je devais l’écrire », en mémoire non seulement de Rifka et Jacob, mais aussi de toutes les nombreuses victimes. Avec un secret espoir : révéler cet épisode historique aux 2èmes voire 3èmes générations des prisonniers de ce camp, qui depuis les USA ou l’Angleterre ou aux USA, étaient peut être en quête de leur histoire familiale.
J’écrivis tous les jours, pendant 5 ans mais au moment de la publication du livre, je subis l’indélicatesse d’un éditeur qui m’a obligé à reprendre mon manuscrit et à le faire recomposer : 5 autres années se sont écoulées. Ce fut ensuite le choc du Covid qui a rendu impossible la sortie officielle de ce livre chez l’Harmattan, mon premier éditeur .
Je me souviens ... Quand le Musée de la Shoah m’a proposé d’exposer les documents sauvés par Jacob, sur un mur entier lors de « Journées du patrimoine », les équipes des archivistes étaient en quête de certains d’entre eux depuis plus de 75 ans ! Ainsi mon livre, avait-il trouvé son titre « 75 ANS DE SILENCE ».
COMMENT ECRIRE UN LIVRE POUR ROMPRE LE SILENCE D’UNE VIE
J’ai voulu un livre vivant où les lecteurs pourraient mesurer la force de vie de gens de cette époque qui, pour exorciser la tristesse des jours et la dureté de leur vie, achetaient pour une pièce de « 1 Sou » des Chansons de Rue, écoutaient des disques dans leur boutique : pittoresque madame Cluzel dans sa boulangerie de quartier ! Le livre compte 350 pages et pas moins d’illustrations et de photos de l’époque.
Chez des amis collectionneurs j’ai déniché aussi de nombreux témoins de cette époque : des sentinelles du temps tels les programmes de spectacles, les revues, les photos des défilés de mode dont les allemands étaient friands, les cartes postales kitch pour envoyer aux soldats ...
Les Chansons des Rues, nombreuses entre les pages du livre, ont été illustrées par Léo Wibo -sauf la dernière qui est restée inachevée- ce belge arrêté par erreur, puis enfermé dans un camp en Sibérie où il passait ses journées à dessiner. Il ne reviendra pas du camp de Lamaden dont Hitler disait « Pas un ne doit en revenir. Laissez les mourir de froid et de faim » ; les historiens y ont dénoncé des cas d’antropophagie.
Pendant que j’écrivais j’ai réussi à réunir toutes ces chansons illustrées, dans un Collector que j’ai édité moi-même. Tout à fait original il est en résonance totale avec on 75 ANS DE SILENCE * à commander par mail à bastidelinda1@gmail.com.
Dans les souvenirs ramenés par le père de Bernard , je trouve des dessins réalisés par les prisonniers : par exemple, celui réalisé par un artiste américain, la caserne St Denis au Printemps. Des jardins plantés de fleurs pour mieux représenter le bonheur de vivre là, offrent une vision schizophrène et trompeuse, qui permet à son auteur d’avoir la vie sauve.
QUEL EST VOTRE SOUHAIT LE PLUS CHER AUJOURD’HUI ?
Faire connaitre mon livre par le Réseau des Auteurs Francophones dans tous les pays : il en existe déjà plusieurs versions (anglaises, roumaines ...)
Quand le livre est exposé dans la librairie de Miami, une jeune étudiante américaine, en train de reconstituer l’histoire de ses ancêtres, l’acquiert. J’ai depuis le sentiment que ce livre peut être un trait d’union entre les pays, pour les descendants des 2éme et 3ème génération aujourd’hui . Aucune autre photo pour en témoigner, ne pouvait me rendre plus heureuse !.
Pour moi qui écrivait mes premiers poèmes en cours de géographie dans un petit carnet rouge, poétesse primée une vingtaine de fois depuis mes 18 ans -prix Jean Cocteau- puis en 2022 par la Société des Poètes Français -prix François Victor Hugo- Madame Simone Weil m’a présentée à l’Académie Française où j’ai été nominée. Le constat est clair : l’écriture a constitué mon moyen exclusif d’expression, depuis toujours.
Me permettez-vous néanmoins de faire un écart par rapport à mon livre ? Et d’évoquer ce film où je tiens le 1er rôle -sous le pseudonyme de Jacqueline Vandal- dans «Une fille à la dérive» de Paula Delsol, metteur en scène «nouvelle vague», amie de Truffaut. Ce film est récompensé au Festival de Cannes 1964 par le Prix de la Critique. Souvenirs-souvenirs : quand j’ai arpenté les marches du tapis rouge de Cannes, lors du Festival de Cinéma, bras dessus bras dessous avec Catherine Deneuve récompensée pour « Les parapluies de Cherbourg ».
Ou bien quand, choisi en 2015 par l’Ambassade de France dans le cadre d’une sélection de films français pour le Green Festival créé à Carmel en Californie par Clint Eastwood, j’ai été invitée à assister à la projection de c
e film en juin, sur écran géant dans le parc de Brooklyn. Emotion totale ! Aujourd’hui encore, chaque année ce film est projeté au musée du MoMa, fin mai avec un engouement américain très fort pour les films d’auteurs français.
C’est ainsi depuis des années. Faisant un détour par l’Espagne, passant par la Roumanie, l’Angleterre, la Russie, la Serbie que mon nom-Linda Bastide -rayonne ici ou là- auréolé de prix de Poésie Internationaux, contribuant à instaurer les indispensables échanges culturels porteurs de paix dans le monde.
Le livre de Linda Bastide est disponible sur Rencontre des Auteurs Francophones :
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