Décembre 1990, ou peut-être janvier 1991. A Giurgiu, à soixante kilomètres au sud de Bucarest, le Danube marque la frontière. De ce côté, c’est la Roumanie. En face, on aperçoit la petite ville de Ruse (ou Roussé), en Bulgarie. Avec un ami, d’un coup de voiture, nous sommes venus repérer les lieux.
Nous vivons en Roumanie depuis quelques mois et, petit à petit, nous explorons notre environnement. Il fait très froid. Moins dix, moins quinze. L’hiver à l’Est. Après avoir garé la Lada Niva le long du Danube, nous sortons prendre l’air. Vêtus tous les deux d’épais blousons noirs taillés dans un cuir grossier, nous sommes aisément repérables. A cet endroit, le Danube immense et calme, est surveillé en permanence. Au bout de quelques minutes, une voiture de police s’avance vers nous. En sortent deux flics, en uniforme grisâtre. Alors que nous essayons de respirer l’air bulgare, ils nous observent un moment, puis se décident à nous rejoindre. L’un d’eux nous pose une question et nous nous efforçons de ne pas éclater de rire. Notre roumain est encore balbutiant, mais nous avons bien compris qu’avec nos mines de conspirateurs et notre accoutrement, ils nous prennent pour des collègues ! Nous n’essayons pas de jouer aux plus malins et leur avouons que nous sommes des étrangers en vadrouille. Du coup, vérification des pièces d’identité assortie d’une recommandation : ne pas rester là trop longtemps.
Cette petite anecdote marque en quelque sorte mon entrée dans un monde du secret dont j’ignorais jusque-là à peu près tout.
A l’époque, héritage communiste oblige, un étranger qui s’installait dans un pays de l’Est était facilement soupçonné d’être un espion. Aussi, on m’a régulièrement, et assez naïvement, posé la question. « En fait, tu travailles pour les services secrets, n’est-ce-pas ? ». J’ai assez rapidement choisi de ne pas vraiment répondre. Après tout, si je disais « non », pourquoi m’aurait-on cru ? Et pouvais-je sérieusement dire « oui, bien sûr ! » ?
Les années ont passé et bon nombre de mes interlocuteurs ont, volontairement ou pas, alimenté ma légende. Avoir travaillé pendant trois ans avec quelqu’un qui est devenu par la suite patron de la DGSE (Bernard Bajolet) aura, pour certains, constitué une preuve évidente de mon double jeu.
Dans ma propre famille, j’ai constaté que l’on s’interrogeait parfois à mon propos. Avoir publié, en 2020, Terminus Budapest, un roman aux frontières de la diplomatie et du renseignement, a bien sûr aggravé mon cas. Lors de la parution du livre, sur l’antenne d’une radio, une journaliste m’a, elle aussi, demandé si j’avais travaillé « pour les services ». « Pas à ma connaissance » aura été, ce jour-là, ma réponse, histoire de souligner que l’on peut livrer des informations sans le savoir. Plus récemment, sur Twitter, un auteur de polars m’a envoyé un message privé pour me faire remarquer que « mon parcours pourrait suggérer que [j’ai] fait du renseignement ».
Alors, dans tout cela, où est la vérité ? Quelle est la réalité ? Je vous laisse vous faire votre propre idée, mais dites vous aussi que si vous ne savez pas, c’est peut-être simplement parce que vous n’avez pas à en connaître…
Ce article est paru sur le blog de Marc Capelle https://marccapelleenlignes.fr/2021/09/03/ma-vie-dagent-secret/
Les romans de Marc Capelle sont disponibles aux USA :
Revoir l'interview de Marc Capelle sur Rencontre des Auteurs Francophones :
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