Savez-vous ce que les oiseaux chantent à l'aube ? Le bonheur d'avoir survécu à la nuit.
C'est avec cet esprit que je me réveille chaque jour, l'œil sur mon lac et ses lueurs rosées. Je pense au café, pendant que l'eau bout et devant le grille-pain, je chante des refrains du temps où les chansons avaient des paroles. Ma grande cousine Anne, à qui j'écrivais, par réseau social interposé, que, malgré les malheurs du monde, je me portais bien et que j'étais de bonne humeur, m'a répondu que jamais, au grand jamais, elle ne m'avait vue de mauvaise humeur quelle que soit l'heure.
C'est sans doute vrai aujourd'hui.
J'ai été très triste au siècle dernier, puis nostalgique souvent, enfin très fâchée de la bêtise du monde. Les choses que je faisais n'avaient plus de sens. Et quand il n'y a pas de sens, on se perd : cela s'appelle un burn-out. Mais le paradoxe de se perdre, c'est qu'on se trouve, le plus souvent. Et puis, j'ai retrouvé le nord -pour le fuir- et j'ai mis le cap sur le sud pour y chercher un endroit où écouter, tous les matins, les oiseaux me rappeler le bonheur d'être vivante. Cet endroit, c'est la rive de mon lac. Celle à laquelle je suis arrimée.
Tous mes efforts de la journée n'ont en réalité qu'un but : celui d'éroder le moins possible le capital de bonne humeur dont le jour naissant m'a gratifiée.
J'écris beaucoup - du moins quand je ne parle pas - et je vous engage à faire de même. Cette chronique déjà, toutes les semaines pour vous mes lecteurs fidèles, et puis mes livres. Et aussi cette fichue pièce de théâtre que je voudrais monter en 2022 : écrite depuis longtemps, l'esprit du temps qui a changé impose des aménagements que je fais à reculons tant mon écriture est de l'orfèvrerie, si bien que déplacer une toute petite pierre en modifie l'ordonnancement tout entier.
Je lis et je relis. Je fais des schémas. Je réécris des scènes, cet atome de l'histoire. Alors, il est temps que je vous parle de l'importance de la scène.
La scène, c'est le noyau de l'histoire : le lieu où s'opère la fusion des mots qui s'agencent en phrases pour raconter des choses qui vont grandir dans l'imagination du lecteur.
Une scène, c'est ce que je vous ai donné à voir dans les premières lignes de cette chronique, une petite parenthèse de vie transcrite sur le papier. Cela a l'air simple, mais ce ne l'est pas.
Bien écrire une scène, cela suppose la maîtrise du schéma narratif. Car, comme chaque cellule de votre corps contient votre ADN tout entier, il en est de même de la scène. Elle est faite du même programme génétique que l'histoire à laquelle elle participe.
Il faut :
-un incipit - mon histoire d'oiseaux -,
-une exposition - celle de mon grille-pain -,
-un incident déclencheur - ma cousine -,
-des complications progressives - ce qui érode ma bonne humeur -,
-jusqu'à la crise - mon burn-out -
-qui m'a fait entrer dans un climax, - ma remise en question -,
-qui conclut au dénouement : je suis devenue qui je suis aujourd'hui,
-et à l'excipit qui viendra tout à l'heure et que vous connaissez déjà si vous êtes un lecteur fidèle : celui par lequel semaine après semaine, je vous persuade d'oublier votre complexe d'imposteur, de vous asseoir et d'écrire puisque vous êtes un écrivain.
Outre la structure, il faut du fond et de la forme : des mots qui chantent et qui vous entraînent de manière irrésistible vers les tréfonds des mers chaudes de vos émotions. Quand vous écrivez une scène, imaginez le lecteur comme un spectateur assis dans l'angle de la pièce. Comment allez-vous le captiver pour qu'il ne ferme pas les yeux. Qu'il tourne la page, mais pas trop vite, en la lisant lentement d'abord. Qu'il savoure chaque mot. Vous ne voulez pas qu'il referme le livre... Surprenez-le. Déroutez-le. Emmenez-le avec vous. Jusqu'à la scène suivante. Et puis faites qu'en fermant les yeux, après le dernier mot, il imagine et garde en lui, pour toujours, vos mots et les émotions qu'ils lui ont apportées. Alors vous aurez réussi. Ne perdez plus de temps. Asseyez-vous et écrivez. Ecrivez. Vous êtes un écrivain...
Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones
Retrouvez son interview :
Comments