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DEUX ÉTRANGERS À MANHATTAN

L'auteure française de New York décrit sa ville d'adoption comme personne. Celle qui signe de passionnants polars, avec en toile de fond Manhattan ou Brooklyn, nous offre un joli regard sur la Grosse Pomme.




Trois fois par semaine, quand il ne neige pas ou qu’il ne gèle pas, je me rends à pieds au marché des fermiers locaux à Union Square. Bien que je prenne toujours des chemins différents, je ne manque jamais de traverser Washington Square. Un parc qui est devenu bien plus plaisant depuis que les touristes et les étudiants de NYU se font rares. J’en aime la vraie atmosphère Village. Voisins propriétaires de chiens, flâneurs, buveurs de café ou nourrices poussant des poussettes y échouent les matins ensoleillés. Ces scènes de vie de quartier me font penser aux romans d’Edith Wharton.

Je vais au marché en principe de bonne heure, mais l’hiver s’étant installé, il m’arrive de m’y rendre plus tard dans la matinée et j’ai remarqué une foule faisant la queue devant un marchand ambulant.


Le mois dernier, alors que je traversais Washington Square, j’ai aperçu le charriot ambulant. Il était seulement 11 h 30 et personne ne faisait encore la queue. Je me suis approchée et je lisais le menu, affiché sur l’un des côtés, quand j’ai entendu : — J’peux vous aider ?

Un homme emmitouflé dans une parka et un bonnet bleu-marine, portant un large masque noir, me fixant de ses larges yeux marron en amandes se tenait à mes côtés. Je répondis par une autre question : — C’est quoi le Pondicherry Special ? — Crêpe de lentilles avec légumes, crème de noix de coco et Tamatar Shorba ! Délicieux. La description ne me parlait pas davantage, bien que je sais ce qu’est une crêpe. — Une crêpe alors ! À peine la phrase lancée, j’ai réalisé que j’avais dépensé tout mon fric au marché. — Vous prenez la carte Bleue? — Non. Seulement Venmo ou en liquide.

J’étais déjà en train de farfouiller le fond des poches de ma doudoune et y trouvais seulement quatre billets d’1 dollar alors que le Pondicherry Spécial en coûtait neuf. — Attendez, ne faites pas une crêpe, je n’ai pas assez pour payer. Trop tard, il étalait déjà la pâte de son rouelle sur un billig, identique à ceux qu’utilisent les crêpiers parisiens. — Pas de problème. Combien vous avez ? — 4 dollars — Pas de problème. Vous me paierez la prochaine fois.

Sa confiance me réchauffa le cœur, vu que je ne mourrais pas de faim. Il déposa les légumes hachés sur la crêpe, la replia puis la coupa en deux. Il ouvrit une boîte en polystyrène y plaça un petit gobelet de soupe, de la crème de noix de coco et quelques extras que je ne saurais pas décrire et referma la boîte. Je suis rentrée chez moi avec un déjeuner entier pour 4 dollars. C’était délicieux, pas étonnant que les gens fassent la queue. J’ai partagé la crêpe avec ma compagne, quantité pour deux. J’ai vraiment fait une affaire.

J’aime à New York, pas seulement les marchands ambulants, mais le fait qu’il est facile de parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas. Deux personnes totalement inconnues peuvent se faire confiance, comptant sur le meilleur en l’autre. Le meilleur de l’humanité. L’Amérique ra reposé longtemps sur ce paradigme. : la confiance en l’autre.

Je l’ai payé, il y a quinze jours. C’était un dimanche, je revenais d’une longue marche. En arrivant à Washington Square, j’ai aperçu la longue queue, puis le petit charriot du marchand ambulant. Il faisait très beau et il était débordé par la suite de commandes, mais je me suis approchée et je lui ai tendu les cinq dollars que je lui devais. Il a lâché sa spatule, m’a regardé dans les yeux. En quelques secondes, j’ai vu ses yeux marron en forme d’amande s’adoucir. Il a saisi mon billet et à retourné une crêpe. En m’éloignant, je me suis demandé s’il m’avait reconnue. Mais est-ce que c’est vraiment important ?

Ce qui me parait l’important, surtout pendant cette pandémie, c’est la confiance et la gentillesse entre nous qui survivent malgré l’absence de visage, la réduction de socialisation et de contacts quand chacun se protège de l’autre, car potentiel porteur du virus.



La prochaine fois que vous venez à Manhattan, vérifiez sur la page Facebook ou Instagram de NYDOSAS, si Thiru vient à Washington Square et offrez-vous un délicieux déjeuner végétarien.


Publication originale

http://chrisimon.com/2-etrangers-a-manhattan/?fbclid=IwAR2USeGvoH4y5E3PlrfHdECk4qbSqqj60VTtO2wliFznhClenGDouXh2yis


Les deux derniers romans de Chris Simon sont disponibles aux USA sur Rencontre des Auteurs Francophones


Retrouvez l'interview de Chris Simon :

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