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L'ÉCRIVAIN, LA CRISE, LE CLIMAX ET LA RÉSOLUTION

Le français est une langue d'orfèvre. Précieuse et délicate où les mots, tels des diamants aux mille facettes, palissent lorsqu'ils sont mal sertis dans la langue vulgaire et qu'ils se retrouvent bradés sous l'éclairage blafard des médias.


Qu'il me soit autorisé de vous donner un exemple qui m'horripile. Celui du mot "incident". Un incident en français, c'est quelque chose d'accessoire, qui vient se greffer sur une chose principale. Ainsi, une demande incidente, en droit, est celle qui vient s'ajouter, comme une parenthèse, à une demande principale. On devine que l'enjeu n'est pas là. Un incident, dans la vie courante, c'est donc un pneu crevé. Quelque chose qui interrompt le quotidien de manière surprenante et contrariante. Une petite contrariété passagère et vite oubliée.

En anglais, au contraire, un "incident" a de sérieuses conséquences : de celles qui bouleversent radicalement la vie. Un acte terroriste est un "incident" en anglais. Il est tout sauf un incident en français. Par un curieux glissement - est-ce à dessein pour minimiser la portée d'actes ignobles ? - les journalistes français utilisent de plus en plus le mot "incident" pour qualifier les actes les plus attentatoires à la vie : attentats, femmes égorgées, brûlées, et autres abjections qui touchent l'Occident. Chaque fois, je bondis tellement que je me cogne au plafond et que je retombe, presqu'évanouie, sur le sol où je demeure gisante, atterrée par une méconnaissance si grave de la langue qu'ils prétendent maternelle. Et je me demande si cette mère n'était pas une mauvaise nourrice nommée ignorance ou- pire - malveillance. Puis, je me console en pensant au rasoir d'Hanlon « Never attribute to malice that which is adequately explained by stupidity ». N'attribuez jamais à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer ! Cette règle de raisonnement tire son nom du rasoir d'Ockham, qui pose un principe de simplicité, au niveau métaphysique, en recommandant de ne pas multiplier les conjectures sur les entités, et au niveau méthodologique, en recommandant de ne pas multiplier les hypothèses. La voie la plus simple est toujours la meilleure. J'opte donc pour la bêtise. Définir un mot, c'est non seulement s'interroger sur ce qu'il signifie intrinsèquement, dans ses gènes étymologiques, mais également dans son contexte particulier. C'est exactement le cas de la CRISE dans mon exposé : celle que doit écrire l'écrivain n'a rien à voir avec la sienne propre, ni avec la crise économique - à laquelle se référait le cultissime film éponyme de Coline Serrault - ni même à celle liée à une quelconque pandémie. La CRISE, en écriture comme en image, c'est - à la fin des complications progressives - ce moment charnière où plus aucun retour n'est possible. Celui où le protagoniste, voyant la digue du barrage céder, la jauge vide de l'avion détourné, la vague du Tsunami à quelques encablures de la plage, sait qu’il est confronté au choix le plus difficile de sa vie.

Ce choix va le faire entrer dans un vortex dont il échappera radicalement transformé : le CLIMAX.

Le mot Climax vient du grec κλῖμαξ "échelle". Songez à l'échelle de Jacob et vous aurez tout compris : « Il n’y a rien que la maison de Dieu et ceci est la porte du ciel. » Dit Jacob. Ou à Jack dont le haricot magique en est une réappropriation populaire. Il s'agit de traverser les enfers, ou de sortir des limbes, de changer d'état, de prendre de la hauteur. On appelle le CLIMAX d'ailleurs aussi "apogée" ou acmé. J'aime comparer le Climax au programme essorage de la machine à laver : le protagoniste en sortira essoré mais transformé, purifié par l'épreuve.

En bonne floridienne, j'illustre souvent cet "essorage" symbolique par un cyclone dont l'œil symbolise la transformation du protagoniste. Par ce qui lui passe dessus et ce qu'il traverse, le protagoniste ouvre enfin les yeux, la vérité lui est révélée, et il devient celui qu'il est appelé à être depuis la survenance de l'incident déclencheur. Tout ce qui se tramait depuis le début de l'intrigue va à présent être révélé au lecteur et transformer le protagoniste. Au moment du Climax, toutes les pièces du puzzle, tous les petits cailloux qui ont parsemé le récit, se mettent en place et le lecteur se rend compte rétrospectivement que tout convergeait vers l'apogée.


Alors, enfin, vient la RÉSOLUTION : le moment de prendre congé du lecteur. Celui de lui donner une fin satisfaisante. Pas nécessairement "happy end" mais quelque chose qui le satisfasse : un méchant puni, un gentil rattrapé par ses failles et dont la chute est acceptée. Parfois par un excipit : "Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". De plus en plus, en laissant la fin ouverte. Pour qu'il y ait une suite. Au moins dans la tête du lecteur. Il n'y a, en fait, pour la résolution, qu'une règle - une seule- qui s'impose à l'écrivain : que le lecteur en fermant le livre ne l'oublie pas. Car, vous, n'oubliez jamais : vous écrivez pour être lu. Vous êtes un écrivain.


Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones


Retrouvez son interview :




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