"Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé." Madame Bovary, Flaubert, Chapitre 1, deuxième paragraphe.
Ainsi commencent tous les romans du XIXe siècle. Bien sûr, pas dans le même lieu, ni à la même époque ou avec les mêmes personnages, mais avec la même structure.
Il s'agit du début de l'histoire, celle qu'on appelle l'EXPOSITION. Depuis les pyramides. Pas de celles d'Egypte. Celles de Freitag et de Forster, deux théoriciens du schéma narratif.
Tels des éléments d'un cabinet de curiosité, le lieu, l'époque et les personnages sont exposés pour que le lecteur comprenne. Comme dans l'étude d'un commissaire-priseur juste avant la prisée.
Outre les personnages et leur milieu, on expose également au lecteur la situation de départ. Celle stable, mais routinière bien que rassurante que l'incident déclencheur va très vite venir interrompre.
Les manuels d'écriture recommandent que l'exposition ne soit pas trop longue mais ajoutent sans rire que cela signifie ne pas dépasser les limites de ce qui correspond au théâtre au premier acte, c'est à dire au tiers du récit !
Je vais, pour vous démontrer comme cela est absurde au XXIe siècle, vous emmener visiter vos souvenirs d'enfance. Repensez à l'excursion scolaire au musée : comme vous étiez enthousiaste de cette occasion qui vous était offerte de sortir des murs de l'école et comme vous étiez dépité - passée l'excitation de la découverte des premiers artefacts- après une demi-heure à écouter la voix monocorde du guide déclamer sa litanie devant des objets poussiéreux. Et comme tout cela vous semblait vain. Et votre regard dépité et envieux, lorsque vous aperceviez dans une salle lointaine des épées, des trésors ou des momies que vous brûliez de voir. Mais qu'il vous était interdit de rejoindre parce qu'il fallait suivre le sens de la visite, la voix monocorde et le guide jusqu'à ce que l'épuisement vous va fasse perdre tout intérêt pour ce qui vous aurait naturellement passionné tout à l'heure.
La société d'aujourd'hui est l'héritière des adolescents turbulents de 68. Elle s'impatiente vite, clame son indépendance, choisit ses affections. La lecture des classiques, et de ses longues expositions, s'est dès lors muée en torture et peu de jeunes lisent vraiment les romans imposés par le programme académique. Ils téléchargent les résumés sur Internet et paient des copies qu'ils paraphrasent en dix minutes pour que les logiciels anti-piratage des lycées ne détectent pas la fraude.
Donc, non, Chers Auteurs, ne faites pas d'exposition qui soit aussi courte que ce qui correspond au premier acte du Théâtre dans votre histoire. Même si au théâtre, le prologue, ou une forme d'exposition sous forme de dialogue ou de monologue, garde son utilité parce qu'il faut installer les spectateurs dans le récit, ce n'est plus le cas dans le roman.
Faites votre exposition aussi courte et cinglante que possible. Sauf dans un cas : celui de l'univers dystopique. Car, quand il s'agit de créer des mondes, vous jouez à Dieu et vos jeunes lecteurs raffoleront de la description de vos planètes, peuplées de nations étranges aux coutumes extraordinaires. Les récits Tolkien ou les aventures d'Harry Potter sont des pavés, mais ils servent rarement à caler des pieds de table. Les lecteurs en demandent et en redemandent et avalent 600 pages sans fermer le livre.
Mais, hormis dans l'univers dystopique ou héroïque, il n'y a, dans le roman du XXIe siècle, pas de place pour l'exposition. Ou il s'agit qu'elle soit minimale. Les récits en images sont passés par là, du cinéma des frères Lumières aux séries efficaces des plateformes, et l'œil du lecteur, devenu également spectateur, a changé. Son imagination aussi. Il veut être plongé dans l'action le plus vite possible, faire partie du récit en décryptant au fur et à mesure les indices qui lui permettront de le comprendre. L'explorateur des temps modernes est celui qui cherche derrière les mots les secrets que l'auteur y a cachés. Même s'il reste le produit de son époque - un adolescent turbulent et impatient- le lecteur clame son indépendance, donc il n'a pas envie que vous lui dévoiliez toutes les informations dès les premières pages. Ce serait le traiter comme un gosse. Et même s'il est un sale gosse, il serait vexé qu'on le lui fasse remarquer.
Donc il n'existe plus qu'une seule règle : l'à-propos. Il s'agit de distiller l’information au moment opportun. Ni trop tôt, sinon le lecteur ne la remarquera pas, mais pas non plus au moment de l'action elle-même sous peine que ce soit artificiel, et qu'on vous accuse en conséquence d'être manichéen.
Ainsi, je reprends un exemple que j'ai déjà utilisé : si mon protagoniste tombe du tabouret qu'il a pris pour atteindre le placard, c'est qu'il avait besoin d'un tabouret donc c'est qu'il est de petite taille. Si je le dévoile dans une exposition formelle au début du récit, j'empêche mon lecteur de développer mon formidable et attachant personnage dans son imaginaire. Par contre, une fois que le lecteur se sera attaché à lui, ses failles, ses manques le rendront encore plus crédible. Et sa taille, son poids ou tous autres détails physiques qui viendront s'ajouter ne l'en détacheront pas. Par contre, si j'attends le moment de la scène du tabouret pour annoncer au lecteur que mon personnage est petit, le lecteur pensera que j'ai "rétréci" mon personnage en dernière minute pour donner une légitimité à la scène de la chute ! Il faudra donc que j'aie anticipé ce détail. Dans une scène précédente ou pour donner quelques exemples, il aura enfilé des bottines à talonnettes ou décrit la femme inaccessible dont il rêve comme plus grande que lui. Dès lors, quand il saisira le tabouret pour monter dessus, le lecteur l'acceptera facilement comme la conséquence logique d'une information qu'il a captée.
Et si vous avez la chance d'écrire à l'inspiration et que cette inspiration vous fait accoucher d'expositions, belles mais trop longues, que vous conseiller ?
Ne jetez rien ! Laissez reposer. Puis, à froid, faites des tranches : saucissonnez votre jolie exposition, et intercalez ces tranches tout au long de votre récit. Vous gagnerez en efficacité et en nombre de lecteurs. N'oubliez pas vous écrivez pour être lu. Vous êtes un écrivain.
Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones
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