Mon papa a décidé de quitter ce monde un 24 décembre.
Je l’ai appris chez Picard, alors que je réglais en caisse l’achat de la bûche à la vanille qu’il aimait tant, pour le déjeuner du lendemain. Je ne suis pas chrétienne, mais nous nous sommes toujours réunis le 25 décembre comme nous avons célébré Noël dans ma petite enfance.
Ce 24 décembre, j’ai rangé la bûche dans le congélateur et j’ai pris conscience qu’un monde s’arrêtait. Celui de ma première vie, celle où nous ne sommes que les enfants de nos géniteurs, protégés par la génération de nos parents. Ce soir-là je reprenais le flambeau. Je devenais la génération protectrice des miens.
Noël aurait dû prendre un goût amer à partir de ce 24 décembre 2002. Il se devait d’être logiquement pour moi le pire jour de l’année. Celui du recueillement. Du monde d’hier perdu.
Et pourtant, il n’en fut jamais rien. Je continuais d’aimer Noël et d’en aspirer toutes les effluves. Plus encore à New York où je vis actuellement et où la fête prend des allures de contes de fées.
La musique enivrante dans les boutiques décorées de toutes parts, le personnel déguisé, les rues illuminées à foison et les bénévoles de l'armée du salut qui chantent et dansent dans les rues, pour récolter quelques dollars pour les plus démunis.
Oui j’aime cette période. Des vitrines des Galeries Lafayette, je suis passée à celles de la 5ème avenue, avec mes enfants partageant mon enthousiasme.
J'ai longtemps traîné cette culpabilité d’aimer noël malgré tout. Bon sang, papa était mort ce jour là. Cette date devrait s’inscrire comme une célébration du deuil et pas de la fête.
C’est plus tard que j’ai enfin compris.
Bien plus tard.
Un jour où j’eus besoin de prendre la plume pour décharger un trop plein d’émotion.
Ce jour-là, j’ai retranscrit ce qui était inscrit dans un coin de mon cerveau mais dont je n’avais pas conscience. L’information était restée coincée dans quelques neurones depuis des années.
« J’aime cette période de Noël car elle me ramène à mon enfance heureuse. J’aime cet enchantement car il fut mien et bien après que le Père Noël n’exista plus dans mon imaginaire.
C’est l’époque des cadeaux que maman cachait dans le grenier, de la maison que je décorais au grand dam de mon père, guirlandes sur les murs et le plafond et boules de Noël sur tout ce qui pouvait les accueillir. C’était l’époque des déguisements d’un rien. Une jupe tahitienne sur la tête, un paréo autour de la taille et le monde prenait une autre saveur.
C’était l’époque où papa commandait ses huîtres en provenance d’un producteur breton de génie, faisait le plein de fruits exotiques rares chez Hediard, passait des heures en cuisine pour nous régaler d’un gigot ou de poisson cuisiné dans de larges coquilles Saint-Jacques. C’était la bûche glacée que l’on achetait des jours durant, tant qu’elle était en rayon.
C’était l’enfance. Les rôti-purée maison de maman. Les devoirs sur la table de la cuisine du pavillon de Malakoff, les batailles d’eau dans le petit jardin, la naissance des chats sur mon lit, les vacances en Normandie et la pêche à la crevette. »
Ce jour-là j’ai enfin compris -grâce à la magie salavatrice de l’écriture - pourquoi Noël resterait à jamais là plus belle journée de l’année.
Je t’aime papa.
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