top of page
Rechercher

LA RÉALITÉ EST UNE CONSTRUCTION HUMAINE

Dernière mise à jour : 19 janv. 2021

Quelques réflexion du livre de Ronald Cicurel à paraitre en 2021 "Brain-centric, comment l'espace mental construit nos réalités"




MATIÈRES





1 De nouvelles Lumières 5

2 Au-delà de la logique 9

3 Intégrés dans l’Univers 15

4 Espace mental et perception 20

5 Langage et vérité 27

6 Existence physique ou mentale 33


Les hypothèses les plus dangereuses sont celles que nous faisons sans le savoir.

Henri Poincaré



Dans les années 1980 le neuroscientifique Benjamin Libet a montré qu’il était possible de prévoir quel choix ferait un sujet 300 millisecondes avant que le sujet ne prenne consciemment sa décision en « lisant » des signaux directement du cerveau au moyen d’électrodes. Le processus de volition est donc initié inconsciemment remettant en cause la notion de libre arbitre et de choix volontaire conscient. La conscience ne serait alors qu’une illusion qui intervient après coup. L’expérience fit grand bruit et fut reproduit un grand nombre de fois depuis. Au moment de la perception consciente et avant l’acte moteur correspondant au choix, un délai de 100 millisecondes peut être observé. Pendant ce bref instant, la conscience peut intervenir et modifier la réaction inconsciente spontanée. Ce délai de 100 millisecondes est ce qui a permis le développement de la civilisation humaine. Nous disposons de 100 millisecondes pour penser plutôt que de simplement réagir. Une série de facteurs autres que la biologie s’est alors mise à influer sur notre évolution, nous confrontant dès lors aux plus grands des mystères : la conscience et la liberté de choix.

***




1 De nouvelles Lumières



Je suis né au Caire d’une famille juive séfarade, mais ne pratique activement aucune religion. Avec les années cependant, je perçois en moi de plus en plus l’influence de mes racines méditerranéennes, elles imprègnent certainement ce texte.


La question de l’existence des Dieux doit, à mon sens, être complètement distinguée de notre intérêt pour les récits, les arts et les traditions religieuses qui sont essentiels pour comprendre l’évolution de la pensée et de l’âme humaine. Notre progression vers la rationalité et les technologies devrait nous inciter d’autant plus à cultiver et étudier nos traditions en tant que discipline salutaire et équilibrante pour l’esprit. Les traditions donnent des points de repère, elles nous situent dans un temps qui dépasse l’immédiateté du quotidien. Elles renforcent les cohésions sociales et nous relient en profondeur à notre âme collective. Il est illusoire de penser que notre vie est strictement la nôtre ; à travers nous vivent des foules d’histoires biologiques et des faisceaux d’histoires culturelles. Ces histoires transcendent complètement le champ de notre conscience du moment et nous rattachent à un passé que nous n’avons pas consciemment connu. Biologiques ou culturelles, les deux modèlent nos comportements et moulent nos pensées faisant finalement de nous ce que nous sommes.

Le monde change, l’homme devient de plus en plus dépendant de ses propres technologies, il crée et s’adapte à ses propres créations courant le risque de se perdre dans une boucle autoréférente.

Des mouvements, tels que le transhumanisme, avec leurs prophètes imprégnés d’une culture digitalisée où l’ordinateur joue le rôle central, nous présentent un avenir robotisé et mécanique. Le cerveau se greffe de chips et se « download » dans la machine, la pensée et les sentiments sont des algorithmes, l’intelligence de la machine croît exponentiellement et prend le pas sur l’homme. Déjà, la machine n’est plus considérée comme un outil à notre service, bientôt, disent-ils, elle sera consciente, fera ses choix et décidera d’elle-même le bien et le mal. Nous devons nous adapter à elle pour finalement lui céder la place.

Aujourd’hui, la question n’est plus « qu’est-il possible de construire », mais doit plutôt devenir « qu’est-il souhaitable de développer ». De questions de nature technique, nous devons évoluer vers des questions éthiques. Mais répondre à ce genre de questions s’avère bien plus complexe, car elles nécessitent une connaissance vécue en profondeur de notre âme humaine et donc de notre histoire, de nos arts et de notre diversité. Elles impliquent une compréhension de notre relation avec la nature, une vision sur un temps long et une image de ce que nous devrions devenir. Ces éléments ne sauraient s’acquérir sous la pression dominante de la rentabilité économique à court terme. En médecine, dans l’éducation, en biotechnologie par exemple il apparait clairement que de purs critères économiques peuvent être socialement catastrophiques.

« Que signifie réussir, disait Krishnamurti, lorsque l’on vit dans une société malade ? »

Nous sommes à un tournant qui nécessite d’imaginer des « valeurs » que le compte de pertes et profits ne peut pas cerner. Nous allons devoir imaginer une société qui ne nous oblige pas à fermer les yeux sur les injustices et nous ouvre au monde tout en préservant les diversités. Une société soucieuse des conséquences de ses choix sur l’individu et sur notre environnement. Nous allons devoir progressivement abandonner certaines de nos manières de faire et de penser. Comment trouverons-nous les justes équilibres dans ces amas de contraintes contradictoires ? Comment concilier les tensions entre le court et le long terme, entre l’individuel et le collectif ? Comment adapter des traditions et des coutumes millénaires si diverses à une existence commune ? Comment enrichir la connaissance en conservant l’équilibre et la diversité de notre planète ? Notre cerveau, la liberté de penser que nous offrent les 100 millisecondes de Libet est notre seul espoir et notre seul outil. Et l’éducation est notre moyen d’apprendre à les utiliser.

Si le télescope et le microscope ont été à la source du siècle des Lumières, espérons que les entendements et les ouvertures que nous permettent nos dernières découvertes initieront à leur tour ce type de réflexion. Elle est nécessaire et urgente. Maintenant.

Pour que les nouvelles technologies puissent nous conduire à de nouvelles Lumières, nous devrons réussir à surmonter les centralisations d’information et de pouvoirs favorisés par le système économique et maintenant renforcés par la digitalisation. Les pièges à éviter son nombreux. Optimiser des systèmes complexes comme des sociétés humaines est un défi continu qui souvent s’oppose à l’optimisation des parties agentes du système.

*




2 Au-delà de la logique



L’âge me permet un certain détachement. J’ai cherché, ces dernières années, abasourdi par le monde que je voyais autour de moi, à dégager ma propre compréhension. Trouver des descriptions que je sentirai plus sincères, plus profondes ou plus « vraies ». Jeune étudiant, je m’étais fait la réflexion que les mathématiques devaient être une sorte de « projection » du cerveau humain. Il y a 15 ans les « hasards » de la vie ont fait que j’ai pu sérieusement m’atteler à étudier les neurosciences. Mon amitié avec un grand neuroscientifique brésilien allait changer mes perspectives.


Les questions, plus que les réponses, stimulent la pensée. Les bonnes réponses sont souvent celles qui engendrent encore plus de questions. Je me méfie des réponses qui ferment les portes de futures réflexions par leur caractère définitif ou par leur arrogance. Peu d’entre nous réalisent, par exemple, combien la digitalisation à outrance est une catastrophe pour l’homme. Pour la plupart nous sommes encore éblouis par ses potentialités et fermons les yeux sur le revers de la médaille.

Le cerveau est essentiellement analogique et la pensée humaine transcende la seule logique, elle ne se nourrit pas seulement de data et de mesures, mais s’enracine dans nos émotions pour dépasser le mesurable et attiser notre créativité. Si l’ordinateur digital ne se nourrit que de chiffres, qu’il manipule bien mieux que nous, il ne sait par contre pas ce qu’est un chiffre. Contrairement à nous, il ne comprend pas, c’est une machine, il calcule. Il applique des algorithmes, il ne crée rien. Il propose un résultat futur en fonction de données passées. Il ne sait pas poser de bonnes questions, il ne fait que suivre des règles et donne des résultats. Comparer l’intelligence humaine à celle d’un ordinateur est tout simplement ridicule[1]. Aussi ridicule que de comparer un homme à une voiture. Un mécanisme et un organisme sont fondamentalement différents. Un célèbre guru de l’intelligence artificielle répondit à une vieille dame qui affirmait qu’on ne pouvait programmer un sentiment : « Madame, donnez-moi une définition précise de votre sentiment et je vous le programme. »[2]


Notre capacité à connaître est limitée, il est pour moi déjà miraculeux que nous puissions savoir « quelque chose ». Notre mémoire est analogique, contextuelle, fugitive et imprécise, à l’opposé même de la « mémoire » digitale de l’ordinateur. Notre cerveau ne s’est pas développé pour cerner le « vrai », ce qui est, ni pour être « réaliste », mais plutôt pour contribuer à notre survie dans le contexte où homo sapiens a vécu l’essentiel de son existence. Il privilégie les interprétations des signaux sensoriels qui impliquent un risque. Ainsi l’homme primitif, voyant une branche qui dépasse dans les hautes herbes, l’interprètera comme « une queue de lion » et fuira. La sélection naturelle s’est chargée d’éliminer ceux d’entre eux qui ont pris le temps de réfléchir et d’interpréter « correctement ». Aujourd’hui encore les émotions ancestrales interfèrent dans la perception et occultent les 100 millisecondes qui ouvrent la voie à la pensée. L’intérêt personnel immédiat l’emporte bien souvent sur une réflexion plus globale et la vérité se noie dans les esprits prêts aux interprétations. Penser est difficile, trop souvent nous nous reposons sur les modèles prêts à l’emploi.

Une fois qu’une idée, une « connaissance » habite notre cerveau, nous tendons à voir la » réalité » au travers d’elle. Un « savoir » peut nous fermer des portes, nous empêchant de percevoir et de réfléchir dans d’autres directions. Ce que nous savons peut nous emprisonner dans une sorte de tunnel où nous n’apprenons plus que des choses qui se perçoivent dans ce tunnel et négligeons ce qui ne cadre pas avec ce que nous savons déjà. La connaissance se construit ainsi comme une pyramide inversée reposant sur sa pointe, un nouvel étage ne peut comprendre que des pièces qui se raccordent avec l’étage précédent. En général, moins on a de connaissances, plus on se raccroche à des certitudes. Nous oublions que les certitudes d’une époque feront sourire des époques futures.

Ce tunnel contraignant est le paradoxe de l’éducation ! Trop savoir peut fermer l’esprit à des savoirs de nature différente. Éviter ce paradoxe n’est possible qu’en enseignant le doute, l’esprit critique, la remise en cause permanente et surtout le contexte historique et humain. À défaut, l’éducation qui a déjà mécanisé les comportements finirait par parachever la mécanisation totale des cerveaux. Triomphe final de l’algorithme sur la créativité.

Si l’important est d’arriver, mieux vaut suivre une route toute tracée, mais si l’important est de créer, d’innover ou d’apprendre, il est préférable de savoir sortir des sentiers battus. En restant sur le tronc, il n’y a rien à découvrir, l’inconnu se trouve sur les branches les plus fragiles. L’éducation doit alors composer : nous enseigner les algorithmes existants, mais nous encourager à ne pas toujours les suivre en recherchant ses propres solutions.

Pythagore, s’ił est resté célèbre pour son théorème, enseignait dans son école deux aspects complémentaires du développement humain. D’une part, le « savoir », tel que nous le considérons : les nombres, les données, la technique. Mais aussi, et essentiellement, son enseignement portait sur l’être, qu’il considérait comme nécessaire pour savoir utiliser le savoir positivement. Ses étudiants passaient des mois à méditer sur chaque nombre. L’idée que nous nous développons sur deux lignes parallèles :



le savoir et l’être, a été reprise au cours de notre histoire par de nombreux penseurs. Le savoir est le produit du passé humain, il est essentiellement fait d’algorithmes et de données mesurables. Mais pour faire sien un savoir, il faut en parallèle travailler sur l’être qui permet de l’intégrer en profondeur et non seulement de le mémoriser.

Développer le savoir, sans développer l’être, risque de conduire l’individu au déséquilibre personnel et la société à la poursuite de technologies destructrices et non maitrisées. Développer l’être sans s’occuper d’acquérir du savoir mène l’individu à des aspirations vaines et une incapacité d’agir.

Les dispositions de l’être sont non algorithmiques, elles vont au-delà des mots qui les expriment. Parmi ces qualités de l’être, le doute, l’humilité, la gratitude et la quête de vérité sont des dispositions de l’esprit essentielles. Être constamment conscient de notre place dans l’univers, s’émerveiller à chaque instant du miracle de notre existence et de notre conscience de ce miracle, s’émerveiller de l’inattendu sont des attributs au cœur même de ce que signifie être humain. Rester humblement conscients de notre ignorance, animée par la quête du beau et du vrai, ne lâchant jamais la main bienveillante de l’humour. Manquant de ressentir ces émotions chaque seconde, nous échappons à l’aspect le plus primordial de notre humanité. Nous nous mécanisons, risquons de nous axer uniquement sur le mesurable et provoquer blessures et catastrophes.

Particulièrement aujourd’hui, il convient de distinguer le monde du spectacle du monde de la substance. Le spectacle, largement favorisé par nos structures économiques, cherche à nous distraire, il nous empêche de penser, il est fait de slogan, de raccourcis, d’effets d’annonce, de facilités et de jeux de lumière. Être vu et connu y est important, peu importe la substance. Le monde de la substance est, je le crois, celui que, au fond, nous recherchons tous ; même s’il est plus contraignant, lui seul assurera finalement notre survie.

Cela me terrifie de constater que le monde du spectacle, du paraître, du faire croire s’est infiltré dans les moindres recoins de l’activité humaine. Jusque même au cœur des sciences. Réussir implique le spectacle, semble-t-on nous enseigner et le spectacle implique de renoncer à l’être.

*




3 Intégrés dans l’Univers



J’aime me promener dans la nature. Que ce soit la forêt, le désert ou la montagne, j’ai besoin de voir, de sentir, de toucher. J’ai besoin d’observer les étoiles, de faire partie de tout cela, de savoir que c’est mon monde, celui qui m’a créé et qui se dévoile à travers mes sens. J’aime croire qu’un jour je saurais donner un sens à cette immensité. J’ai besoin de silence et de grandes étendues qui entrainent mon esprit au loin, lui disent réveille toi, tu n’as nul besoin de vivre si petit. Tu fais partie de ces milliers de générations de femmes et d’hommes qui ont poursuivi cette quête. Non point pour recevoir une réponse, mais simplement pour que cet univers existe.


Se considérer comme isolé dans l’espace et dans le temps n’est qu’une illusion. Lorsque nous expliquons après coup rationnellement nos actes et nos pensées, nous ne faisons généralement que contribuer à construire une image incomplète, fragmentée, reconstituée et tronquée de sa profondeur originelle. Une image mécanisée, assemblée à partir d’éléments linguistiques préfabriqués. Nous passons du vécu au verbal. Le langage depuis 10 000 ans a changé notre univers. Nous vivons dans les mots. Ce sont les mots qui inspirent nos peurs et imagent nos espoirs. Les mots sont devenus nos glaives et nos boucliers et le savoir a pris le pas sur l’être. Le langage a marqué notre premier pas d’entrée dans l’ère digitale, transformant notre monde et remodelant notre cortex.

Le langage découpe en entités indépendantes ce qui n’est, là dehors, qu’un tout indivisible, il nous impose son propre découpage et ses propres individuations. C’est maintenant notre moyen réductionniste d’appréhender, de décrire et de chercher à comprendre une globalité qui nous échappe. Un arbre n’est pas la somme de racines, d’un tronc, de branches, de feuilles et de vert. La langue ne saurait décrire la nature d’une globalité par son addition de mots. Là dehors est « non verbal ». L’arbre est plus et autre que la somme de ses parties. Sa « nature » n’a pas de parties, seule sa description linguistique est ainsi construite. Un moteur est fait de parties, c’est sa nature, il peut se démonter et se remonter, pas un arbre ni un cerveau humain. Un organisme est différent d’un mécanisme. Le langage les dépeint pourtant au travers du même moule grammatical.

Vouloir cerner la nature du réel en le découpant en partie est une illusion, une illusion qui troublait profondément le grand physicien David Böhm se souciant de la manière dont la science fragmente. Cette même fragmentation a contribué à l’illusion et finalement l’échec des projets récents de modélisation du cerveau sur un ordinateur digital[3].

Plongés comme nous le sommes dans le monde du verbe nous ne savons pas faire autrement que de fragmenter. Pour répondre à la question « qu’est-ce que ceci ? », nous expliquons de quoi « ceci » est fait, nous décomposons en partie, une chose peut-être indécomposable. Notre carte verbale ne correspond pas au territoire là dehors.

Heureusement que notre cerveau analogique comprend au-delà des mots. Il y a le savoir verbal, mais derrière il y a l’être. Heureusement il y a la musique, la littérature et les arts. Veillons à ne pas être que des spécialistes et à garder une optique large, les questions auxquelles nous allons devoir répondre vont avoir besoin d’une vision profonde et globale. En vieillissant, le champ de conscience de l’homme s’étend progressivement, il commence à tenir compte d’une variété de facteurs qui, plus jeune, lui échappaient. De même le champ de conscience collective de notre société devra s’étendre.


À tous les niveaux, nous sommes intégrés à la nature autour de nous, sans elle nous n’existons pas. Nous sommes une espèce parmi des milliards d’autres dans un écosystème bouillonnant d’interactions complexes ; ces milliards d’espèces interagissent à leur tour avec l’univers environnant. Changez un seul maillon et tout le système se réadapte.



Du haut en bas et du bas en haut des échelles de dimensions, de la particule à l’univers tout entier, des actions et des rétroactions circulent constamment en milliards de torrents entrecroisés. Cela fait de nous une des poupées russes totalement intégrées à ces chaines, alimentées par et réagissant à des flux d’énergie et d’information du haut et du bas. De la particule élémentaire à l’univers tout entier, en passant par la cellule et par notre l’écosystème, chaque élément est intégré et indispensable au tout comme relais de ces continuels échanges. Cependant notre position dans ces vastes chaines est intéressante et unique. Nous nous situons exactement à la position dans la chaine de poupées où la complexité est maximale. Les entités plus grandes ou plus petites n’ont pas un niveau de complexité suffisant pour que se développe notre type d’intelligence individuelle.

Mais ce n’est pas seulement sur le plan physique et biologique que ces échanges d’information et d’énergie s’opèrent. Notre pensée elle aussi fait partie d’une chaine nous reliant à un inconscient collectif, à une culture et finalement à tous les autres humains qui ont existé. Newton disait qu’il n’avait été capable d’innover que parce qu’il s’était assis sur les épaules des géants qui l’avaient précédé. Miguel Nicolelis a développé et étudié en laboratoire le concept de « brainnet » et montré comment la communication de cerveau à cerveau permet la création d’un « cerveau collectif » et finalement le développement de civilisations.


*


4 Espace mental et perception



Aussi loin que je me souvienne, j’ai été suspicieux vis-à-vis de la « réalité ». Alors, au gymnase, lorsque nous avons étudié le mythe de la caverne de Platon, ce fut comme une révélation. Je savais bien, pensais-je alors, que ce que nous croyons être la réalité n’est pas la vraie réalité, il y a autre chose derrière. Une chose à découvrir, j’avais toute la vie pour le faire.


Une représentation mentale est l’entité mentale abstraite qui représente un objet, un sentiment, un mot, un souvenir, une attente… L’ensemble de ces représentations mentales et de leurs interactions est appelé « espace mental ». Celui-ci se nourrit d’informations sensorielles reflétant « là dehors » ainsi que d’informations émotionnelles qu’il utilise pour « fabriquer » ses interprétations. L’espace mental sans arrêt combine, mémorise, abstrait, interprète, génère de l’information. Cette activité correspond à ce que nous appelons penser ou sentir, ou imaginer, ou se souvenir… L’ensemble de ce que nous connaissons est généré par et situé dans notre espace mental. L’objet des neurosciences est d’étudier comment l’espace physique sous-jacent, le cerveau, produit notre espace mental. Les liens entre le cerveau physique et l’espace mental, la nature de la conscience, qui posaient déjà problème à Descartes, demeurent aujourd’hui mystérieux[4]. Notre existence est vécue dans notre espace mental qui constamment interprète, décide, coordonne et agit sur « là dehors » et, en fonction de ces interprétations, modifie ses propres représentations. Mais l’espace mental semble bien être une « émanation » de l’espace physique. Ne comprenant pas comment quelque chose de « non matériel » peut influer sur quelque chose de matériel, la majorité des scientifiques rejettent le « dualisme » à la Descartes. Pour eux le monde est fait de matière et d’énergie.[5]


Les seuls liens entre cet espace mental et « là dehors » passent par l’information sensorielle et la perception. Comprendre les mécanismes de perception devient alors une question centrale pour comprendre la réalité. Lorsque l’espace mental s’analyse lui-même, un phénomène de « zone aveugle » apparait (l’appareil de photo n’est jamais sur la photo). Ce phénomène de régression infinie provient de l’absence de référence externe au système. Une représentation mentale de l’espace mental doit contenir une représentation mentale de l’espace mental et ainsi de suite, comme une image reflétée dans deux miroirs parallèles. Cette « zone aveugle affecte aussi les langages qui contiennent forcément des mots non définis, des mots primitifs, ce sont même les mots essentiels.


Le système nerveux central et le cerveau se sont développés pour coordonner la réponse de l’animal à son environnement. Le théorème central de la cybernétique nous confirme que le seul moyen d’assurer cette régulation est en générant une image interne de ce qui est là dehors : une représentation mentale. Plus cette image est précise et détaillée, plus efficiente peut-être la régulation.

Le cerveau des animaux évolués est aujourd’hui décrit comme une « machine à anticiper » et à rechercher ensuite des confirmations sensorielles de ces anticipations. Nous sommes de manière permanente en train de prévoir, plus ou moins consciemment, ce qui pourrait se passer ensuite et nous recherchons parmi les informations sensorielles celles qui confirment nos attentes. Cette activité d’anticipation se produit à tous les niveaux de l’espace mental. Lorsqu’une attente n’est pas confirmée, nous sommes surpris et désorientés, le temps que notre système nerveux central appelle une attente mémorisée mieux adaptée.

Jusqu’au début du siècle dernier, l’idée qui prévalait pour expliquer la perception était que celle-ci est initiée par le phénomène extérieur. Nos sens captent un signal provenant du phénomène et nous proposent une représentation correspondante. Ce que nous percevons est donc semblable à ce qui « est » là dehors. À la manière d’un appareil de photo, nos représentations sont des images de l’objet qu’elles représentent. Cette conception a progressivement dû être abandonnée, car elle présente trop d’incohérences. Elle ne permettrait pas le développement d’une adaptation au niveau individuel suffisante à justifier de notre intelligence personnelle. Les espèces vivantes n’utilisant pas le système d’attentes anticipées pour percevoir, comme les insectes, survivent par une adaptation au niveau collectif. L’individu peut se laisser prendre dans des comportements en boucle dont il ne sait se sortir, répétant jusque’à la mort le même choix inadéquat. De plus, la perception de type photographique laisse ouvert le fameux « binding problem » : comment des informations sensorielles parvenant au cerveau depuis différents organes sensoriels par des chemins neuronaux de longueurs différentes, à des temps différents, pourraient-elles se coordonner en une représentation cohérente ?

Il est maintenant confirmé que c’est dans le cerveau que la perception est initiée par des attentes mémorisées des expériences antérieures et que la « plasticité » du cerveau permet constamment l’adaptation de ces représentations et l’apprentissage de nouvelles attentes[6].

La découverte du fonctionnement de la perception par anticipation est probablement l’une des avancées scientifiques récentes les plus significatives. Sa portée dépasse largement le seul cadre des neurosciences et trouve des applications essentielles en sociologie, en physique, en épistémologie et en philosophie.

Nous ne pouvons donc connaître la nature de la réalité la dehors. Tout ce que nous connaissons ce sont nos représentations. La science empirique expérimente de manière répétée et fait des mesures précises, elle récolte des datas, des nombres. Mais c’est un cerveau humain qui interprète le sens à donner à ces nombres, en fonction de ses attentes. C’est lui qui établi un modèle et les mathématiques correspondantes. Par exemple la gravitation de Newton. Ce modèle est alors utilisé pour faire des prédictions. Dans le cas de Newton, son modèle mathématique s’est vu confirmé pendant plus de 200 ans, jusqu’en 1919. Eddington a pu mesurer cette année-là que la toute nouvelle Relativité générale d’Albert Einstein donnait des résultats plus précis. Dans la plupart des cas, l’écart s’avère minime et Newton est encore utilisé de nos jours. Mais voilà ce qui est intéressant dans notre contexte, Newton décrit un univers de forces qui agissent à distance alors qu’Einstein utilise un espace courbé par les masses qui le peuple. Les résultats chiffrés sont très proches, mais les interprétations sur la nature du réel sont très différentes.

Les grecs estimaient que les planètes tournent autour du soleil de par la volonté des Dieux, Newton attribue ce mouvement à une force gravitationnelle, Einstein à la courbure de l’espace. Quelle que soit l’interprétation que nous faisons, cette dernière reste dans le monde verbal, l’interprétation est « au sujet » de là dehors, pas là dehors. Les planètes continuent de tourner et ne connaissent ni les Dieux, ni les lois de Newton, ni même Einstein.

Ce qui cependant fait la différence entre les interprétations est dans les mathématiques associées : la qualité des prédictions.


Il est raisonnable de penser que toute espèce extraterrestre intelligente utilise aussi un système d’anticipation. Comme l’environnement dans lequel aura évolué cette espèce extraterrestre pourrait être fort différent du nôtre, sa chimie et sa physiologie seront sans doute aussi bien différentes. Son espace mental ne ressemblera pas forcément au nôtre, il vivra donc dans une « réalité » différente. Ni lui ni nous n’aurons raison sur la nature du réel là dehors. Avoir raison n’est pas l'important ici, seule compte la survie.

La rencontre d’un être extraterrestre intelligent serait un évènement majeur. De quelle intelligence s’agira-t-il ? Quelle sera leur réalité ? Pourrons-nous communiquer avec eux ? Aucune expérience ne pourrait nous en apprendre plus sur nous-mêmes, sur l’univers et sur le vivant que d’être confrontés à des êtres possédant un espace mental totalement différent du nôtre.



En 1902, le grand mathématicien Henri Poincaré publia un petit ouvrage destiné au public et intitulé « La science et l’hypothèse ». Il y affirme que les mathématiques n’étudient pas les objets, mais les relations entre les objets. On peut donc aisément remplacer un objet par un autre. Il renonce 3 ans avant Einstein à l’idée newtonienne d’espace absolu. Il affirme que les deux propositions : « la Terre tourne » et « il est plus commode de supposer que la Terre tourne », ont un seul et même sens ; et il n’y a rien de plus dans l’une que dans l’autre.

Mais au-delà encore de ces anticipations géniales, Poincaré affirme que la totalité des connaissances scientifiques est le résultat de conventions entre humains. Pas de vérité absolue.

*


5 Langage et vérité



Rabindranath Tagore, le poète et prix Nobel, rendit visite à Albert Einstein dans sa maison à Caputh, près de Berlin, le 14 juillet 1930. Leur discussion, qui fut enregistrée, porta sur la nature de la réalité. Einstein : Il y a deux différentes conceptions sur la nature de l’univers — le monde en tant qu’unité dépendante de l’homme et le monde en tant que réalité indépendante du facteur humain. Tagore : Quand notre univers est en harmonie avec l’homme, nous le connaissons comme vrai et le ressentons comme beau. Einstein : C’est une conception purement humaine de l’univers. Tagore : Le monde est un monde humain. La vision scientifique elle celle d’un homme de sciences humain. Par conséquent le monde séparé de nous n’existe pas ; c’est un monde relatif, dépendant pour sa réalité de notre conscience humaine…


Vérité ou mensonge n’existent que dans le monde verbal que les humains ont développé depuis 10 000 ans[7]. La vérité concerne la fidélité d’une proposition verbale à décrire un évènement là dehors, hors du monde verbal. Mensonge ou tricherie indique le manque de fidélité volontaire à donner la meilleure description possible de l’évènement là dehors. Là dehors il n’y a ni vrai ni faux. Seules nos représentations mentales peuvent être fidèles ou trompeuses. Le mensonge n’est rendu possible que par l’utilisation d’un langage. Un texte peut-être faux ou mensonger, pas ce qui est là dehors.

Le langage permet à l’homme d’acquérir du pouvoir dans son groupe par l’utilisation de descriptions erronées, nous avons vite appris à l’utiliser à ces fins. Le remède au mensonge est l’observation, mais le langage traite bien souvent d’entités non observables comme les sentiments, les intentions, les choses immatérielles, les évènements passés… Il a fallu des milliers de générations pour que se dégage le sens et l’importance du concept de vérité. Aristote, se rendit compte de combien le mensonge détruit la société, combien il inspire de fausses théories conspiratrices nous guidant dans des directions finalement catastrophiques. Exaspéré par la rhétorique des sophistes utilisant le discours pour toucher les émotions des foules, occultant les 100 millisecondes afin de gagner du pouvoir, il voulut cerner la vérité en structurant le langage avec ses principes logiques. La logique aristotélicienne est encore celle que nous utilisons tous les jours et qui nous paraît évidente. Cela ne suffit pas. Les sophistes et leur rhétorique finirent par détruire la démocratie athénienne. Deux millénaires plus tard, Leibniz était lui aussi concerné par les mésententes et les guerres qui ravageaient l’Europe. Il rêva toute sa vie d’une langue dans laquelle seule la vérité pouvait se dire, une sorte de fil d’Arianne de la pensée. Un langage qui, comme en mathématiques, permettrait de vérifier et de « prouver ». Il suffirait de s’assoir autour d’une table pour savoir en communiquant au travers de cette langue où sont le vrai et le faux. Leibniz explique son rêve dans « De arte combinatoria » en 1666. Pour construire son langage, il s’inspira de la géométrie d’Euclide et de l’algèbre de Al-Khwarizmi[8] écrite en 830, mais dont la traduction latine a atteint l’Europe bien plus tard. Pour Leibniz la pensée est un calcul. Il inventa la notation binaire telle que nos informaticiens l’utilisent aujourd’hui et construisit un ordinateur mécanique, dont il présenta la version finale en 1710. En fin de compte son entreprise n’aboutit pas, le mensonge et la discorde continuèrent à polluer l’humanité. (Qu’en dire aujourd’hui!).

Voltaire nous fit remarquer que : « Ceux qui peuvent vous faire croire des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités. »

Le besoin de structurer le langage pour exprimer le vrai allait, au début du 20e siècle ébranler les fondements mêmes des mathématiques. Le grand mathématicien Gottlob Frege était en train de terminer le deuxième tome de son ouvrage sur les fondements de l’arithmétique lorsqu’il reçut une lettre d’un jeune étudiant britannique lui signalant qu’il avait repéré une contradiction dans le premier volume. Une contradiction en mathématique est une catastrophe absolue qui menace tout l’édifice. La contradiction était une variante du paradoxe du menteur et l’étudiant s’appelait Bertrand Russel. Lancée par Hilbert, une gigantesque entreprise de ré-écriture des mathématiques en langage formel s’en suivit pour bien s’assurer que chaque étape de chaque déduction était solidement fondée.

En 1931, le mathématicien autrichien Kurt Gödel mit définitivement fin à l’idée que tout ce qui était vrai pouvait se prouver logiquement. Ses théorèmes d’indétermination ont montré que pour tout système formel cohérent[9] il y a des propositions vraies que l’on ne peut pas prouver vraies dans le système et qu’un tel système ne pouvait prouver sa propre cohérence. Syntaxe et sémantique sont deux territoires différents. Le rêve de Leibniz est impossible.

Cinq ans plus tard, Alan Turing montrera qu’une infinité de problèmes sont « incomputables » autrement dit, ils ne peuvent pas être résolus de manière algorithmique. Ses travaux allaient rapidement aboutir à l’ordinateur digital tel que nous le connaissons. Si l’intelligence artificielle nous montre sans arrêt que de nombreux problèmes peuvent être résolus par l’ordinateur, il n’en demeure pas moins que l’infinie majorité d’entre eux resteront non computables.[10]

Gödel a mis fin au rêve de Leibniz, mais il nous a aussi libérés d’une mécanisation complète. Nous ne sommes pas des ordinateurs qui suivent uniquement des instructions préétablies. Il n’y a pas de vérité absolue que l’on puisse atteindre par des manipulations de syntaxe. Comme l’avait indiqué Poincaré, il n’y a de vérité que par convention. N’est-ce pas logique puisque ce n’est que l’espace mental qui génère la réalité ?


La circularité et l’autoréférence de notre espace mental et de certaines définitions verbales de mots primitifs[11] génèrent des zones aveugles où le raisonnement logique ne s’applique plus. Certaines questions demeureront donc à jamais sans réponse formelle. Sans réponse justifiable logiquement. Certains mots primitifs, dont nous humains comprenons bien le sens resteront indéfinissables par description. Cependant, sans les définir verbalement, nous les comprenons « de l’intérieur ». Bien entendu chacun d’entre nous les comprend alors à sa manière. Ils n’ont pas cette fixe rigidité des mots soigneusement définis par le dictionnaire, mais ce sont pourtant les mots les plus intéressants, car, comme l’a dit Noam Chomsky, c’est l’imprécision qui donne au langage sa richesse.

Le dictionnaire ne peut en fait jamais définir le premier mot pour lequel il aurait besoin de concepts non encore définis. Le savoir verbal doit initialement s’appuyer sur la connaissance par acquisition pour se développer. Jusqu’à vers l’âge de sept ans l’essentiel du savoir est ainsi appris en imitant, en associant des sentiments à des perceptions. Même pour adulte l’apprentissage par acquisition reste essentiel, essayez donc d’apprendre verbalement comment monter à vélo ou jouer au piano. Le savoir que nous n’oublions pas est toujours acquis de cette manière, sa base est non verbale. Il est profondément associé à des émotions.


Bien que les mathématiques soient une activité purement verbale et qu’elles s’appuient sur le raisonnement logique, les bons mathématiciens ont su, dans leur tête, associer aux objets mathématiques leurs propres images et émotions. Ce sont elles qui vont leur permettre de se familiariser avec les objets mathématiques et les apprivoiser. Chercher et découvrir devient alors bien plus simple : il s’agit d’imaginer l’histoire de choses familières que l’on comprend comme on comprend son meilleur ami.

Les mots indéfinissables les plus utilisés sont par exemple : le temps, l’espace, l’amour, le vivant… Un autre mot essentiel entre dans cette catégorie, le mot « exister ».

*




6 Existence physique ou mentale


Je ne demande pas qu’une théorie corresponde à la réalité, parce que je ne sais pas ce que c’est que la réalité. La réalité n’est pas une qualité que l’on peut tester. Ce qui me concerne c’est seulement que les prédictions de la théorie correspondent aux résultats des mesures. (Discussion en 1994 entre Stephen Hawking et Roger Penrose à l’université de Cambridge.)


Poincaré a observé que les deux propositions: “La terre tourne” et “Il est plus commode de supposer que la terre tourne” ont un seul et même sens; rien ne peut les distinguer l’une de l’autre. Cela signifie que nous ne pouvons faire de différence entre “quelque chose est là-dehors” et “il est commode de supposer que quelque chose est là-dehors”. Il n’y a donc aucun moyen de certifier qu’une représentation mentale représente effectivement quelque chose “là-dehors”, ou que cette représentation est simplement une hypothèse commode pour décrire “là-dehors”.

Affirmer que quelque chose « existe » dépend fondamentalement de nos perceptions, de nos sens et de notre système nerveux central. Nous savons aujourd’hui que notre perception fonctionne avec un système d’attentes. La juxtaposition de ces remarques nous interroge sur le sens du concept “exister”.

Nous comprenons le mot « exister » par acquisition. Quelque chose existe dans la mesure où nous pouvons le toucher, le voir, le sentir, l’entendre… Depuis un siècle, les physiciens ont cependant dû étendre leur concept d’existence. Ils ont eu besoin de qualifier comme existant des entités échappant à toute observation directe. En effet, un objet peut, par exemple, être « trop petit » pour être éclairé, quelle que soit la fréquence de l’onde qui l’illumine, il sera alors inobservable. Ainsi des particules élémentaires telles que des électrons, des neutrons, des photons ou même des atomes ne sont pas visibles, leur taille est bien inférieure aux longueurs d’onde de la lumière visible. D’autres objets physiques eux aussi échappent à l’observation directe tels que les trous noirs ou le big bang. Leur « existence » est acceptée sur la base d’une théorie et de l’observation des conséquences de cette théorie. Ainsi la relativité générale ouvre la possibilité d’existence de trous noirs qui sont par définition inobservables directement. Par contre le disque d’accrétion qui se forme autour du trou noir, qui est aussi prédit, est lui observable. De même, les observations faites dans les accélérateurs de particules ne sont jamais des observations directes, elles mettent en jeu une théorie, le modèle standard et une observation indirecte d’une conséquence de cette théorie.


Les physiciens ont donc convenu que quelque chose « existe » si l’hypothèse de son existence est utile à expliquer un phénomène, qui lui est observable. « L’existence physique » n’est plus vraiment distincte d’une opération mentale.


La frontière entre l’existence physique et l’existence mentale disparait. Le dernier pas est de constater que tout ce que nous pouvons connaitre est toujours purement mental.

Là dehors le monde dans lequel nous vivons n’existe pas :

Là dehors il n’y a pas de musique, pas de son, pas d’image, pas de lac et pas de maison. Il n’y a pas de Paris ou de New York. Il n’y a même pas de soleil ou d’étoiles. Pas de molécules ou d’atomes. Pas de conquête spatiale, pas d’êtres humains ou de vins de Bourgogne. Pas de Proust ou de Hemingway, pas de temps ou d’espace. Pas d’amour ou de haine… Pour que tout cela existe, il faut un espace mental humain.

L’évolution darwinienne a assuré que nos représentations mentales sont suffisamment bonnes pour avoir permis notre survie, mais rien ne nous dit qu’elles nous fournissent une image précise de ce qui est là dehors.

Si notre réalité est alors purement mentale, qu’en est-il des vérifications expérimentales ?

L’expérimentation nous fournit uniquement des données chiffrées qui supportent ou falsifient nos théories, les entités descriptives et la théorie elle-même restent des productions du cerveau humain.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’objectivité ?

La notion d’objectivité change un peu de sens, au lieu de prétendre décrire ce qui est là dehors, elle devient notre effort pour générer la théorie la plus compatible avec les données mesurées.


Les questions évoquées ci-dessus ont fait l’objet de plus de dix années de discussions et de recherches avec mon ami Miguel Nicolelis. Il en est résulté une nouvelle approche sur la manière dont le cerveau génère et gère l’information. En complément de l’information digitale classiquement définie par Claude Shannon, nous avons introduit la notion d’information analogique et physique Gödelienne, nous avons proposé un modèle de computation hybride et suggéré la possibilité de construire physiquement de tels ordinateurs capables de résoudre des questions non computables dans le modèle de Turing/Von Neumann. Miguel a récemment publié un livre intitulé The True Creator of Everything : How the Human Brain Shaped the Universe as We Know, que je vous recommande. Pour ma part, j’ai donc intitulé mon prochain livre (pour l’instant en anglais) : Brain-centric avec le sous-titre comment l’espace mental construit nos réalités.



On ne saurait être mathématicien sans avoir l’âme d’un poète.

Sofia Vasilyevna Kovalevskaya



Ronald Cicurel

Janvier 2021


[1] L’intelligence n’est jamais dans l’outil, mais dans le concepteur de l’outil. Les informaticiens ont toujours utilisé des dénominations de qualités humaines pour décrire des fonctions de leur machines. Cela peut crée des confusions importantes. [2] Si quelque chose est parfaitement défini, on peut évidemment le programmer. Le problème est que des choses essentielles comme les sentiments ne peuvent pas être parfaitement définis sans perdre de leur substance. [3] J’ai participé pendant 5 ans aux premiers pas du Blue Brain/Human Brain Project à l’EPFL. Mon livre L’Ordinateur ne digèrera pas le cerveau prévoit l’échec du projet et les raisons fondamentales qui conduisent à cet échec. Le livre que nous avons écrit avec Miguel Nicolelis, The Relativistic Brain, How it works and why it is not Simulable on a Turing Machine, donne des arguments biologiques, neurologiques et mathématiques qui empêchent de simuler le cerveau sur un ordinateur digital. [4] Comment quelque chose d’immatériel et abstrait agit-il sur un objet matériel? Dans Brain-centric, How the mental space builds our realities, je décris en détail la solution que Miguel Nicolelis et moi proposons.. [5] Cette position appelée “physicalisme” est elle-même contradictoire, comme nous le verrons plus loin. [6] Voir par exemple Beyond Boundaries de Miguel Nicolelis [7] Le langage structuré s’est introduit progressivement, 10’000 ans est une évaluation très approximative de la période où les premiers langages structurés sont apparus. Les racines de la formation du langage dans le cerveau de.s primates est bien plus ancienne, Une étude récente la fait remonter à plusieurs million d’années [8] Mathématicien et astronome de Bagdad mort en 859. [9] Cohérent: qui ne comporte pas de contradictions [10] Voir mon livre avec Miguel Nicolelis: The Relativistic Brain, How it works and why it cannot be simulated by a Turing Machine. [11] Einstein, par exemple, définit le temps par “ce que mesurent les montres”.



500 vues0 commentaire
bottom of page