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QUAND UN BÂTIMENT S'EFFONDRE, MIAMI SE LÈVE.

Qui pouvait témoigner avec autant de ferveur de ce qu'il se passe à Miami depuis une semaine, si ce n'est celle qui y vit depuis des décennies et aime sa ville plus que quiconque. Un formidable texte émouvant et plein d'espoir, signé par l'auteure Belge, Anna Alexis Michel.


La survenance d'une tragédie nous renvoie toujours à la question du sens. Il ne s'agit pas seulement de savoir pourquoi une catastrophe s'est produite mais ce qu'elle produit. Et au-delà, ce que nous en faisons.


Il était 1h30 du matin et les habitants du Champlain, un petit immeuble de la plage de Surfside, à un pâté de maison de Miami Beach, dormaient.

Pourtant la veille, une mère avait eu du mal à dormir. Elle s'en était plainte à son fils : il y avait des craquements sinistres qui l'avaient réveillée. Mais, elle n'était pas partie. Elle est aujourd'hui probablement décédée.

De l'immeuble effondré comme une pile de pancakes sur la plage de Surfside, ce qu'il y avait à sauver de vies l'a été. Il y a eu une mobilisation immédiate et formidable, des sauveteurs venus de partout et des chiens. Il y a toujours l'espoir d'un miracle, mais au fur et à mesure que les jours passent, le mot miracle s'écrit de plus en plus "mirage".


Il y a quelques survivants, j'en connais qui les connaissent et qui m'en parlent. Dans une petite communauté comme la nôtre, il y a toujours quelqu'un qui connaît l'autre.

Le monde croit que Miami est une ville énorme, aux rues bondées et aux artères bloquées, c'est vrai et ce ne l'est pas. Elle l'est par le flot des touristes que les néons attirent comme les moustiques qu'ils détestent. Mais quand la marée humaine se retire, il reste ses habitants, résidents permanents ou titulaires de secondes résidences, qui y ont leurs habitudes, leur place à la Synagogue, sur la banquette d'un café ou le tabouret d'un bar. Ceux qui restent forment, comme c'était le cas dans ce bâtiment, un extraordinaire melting-pot fait d'ashkénazes, de cubains, d'haïtiens, de canadiens et de sud-américains de toutes les origines - Paraguay, Colombie, Venezuela, Argentine, Uruguay...- confessions et couleurs.


J'ai sur mon iPhone la photo d'une jeune fille, couchée sur un lit d'hôpital, avec des broches sortant des jambes. Elle a 17 ans. Elle va mieux. Ses copains sont rassurés. Sur sa dernière story Instagram, elle sourit.


Samedi, dans un magasin du centre commercial d'Aventura, une jeune femme avait les larmes aux yeux pendant que son père, dans la cabine d'essayage, enfilait des pantalons. À la vendeuse, qui s'inquiétait de ses larmes, la jeune femme a expliqué que son père aurait dû mourir. Par chance, il n'était pas, cette nuit-là, chez lui. Son appartement s'est effondré, il avait tout perdu, c'est pour cela qu'il s'achetait de nouveaux vêtements. Ses larmes, passé le temps de la sidération, ce n'était pas parce que son père essayait des pantalons, c'était parce qu'il avait la chance d'en avoir encore besoin.


Il y a aussi la survivante, appuyée sur l'épaule de son fils, assisse sur un banc, capturée par l'objectif d'un photographe local : la seule de la partie effondrée qui ait eu le réflexe et le temps de fuir.

Il y a une famille qui ne dormait pas, la mère a entendu le craquement, ouvert la porte, vu la nuit au bout du couloir. Ils ont fui. La famille est sauvée.

Il y a tout ceux dont on ne sait s'ils sont morts ou vivants et pour lesquels, sur le treillis vert de la barrière dressée le long de Collins, les fleurs et les photos s'accumulent.

Il y a ceux qui croient et qui ont, sur la plage, écrit, en se servant des transats et des parasols, le mot HOPE. Si grand que le ciel le voie.

Il y a ceux qui se rassemblent en cercle, un peu plus loin sur la plage, pour échanger, prier ou simplement se taire parce qu'il n'y a rien à dire.

Il y a les prières dans les temples, les églises et les synagogues et les noms qu'on égrène en disant le Kaddish.

Il y a les dons de gâteaux et biscuits aux trois cents sauveteurs venus de partout du Comté de Miami-Dade, du Mexique et d'Israël. Douceurs accumulées sur les tables, tant et si bien qu'on a dû demander de ne plus les déposer sans coordination préalable.

Il y a les restos qui, à tour de rôle, délivrent des repas chauds.


Mais il y a aussi le feu qui a couvé sous le bâtiment, les premières heures, rendant le miracle de plus en plus improbable.

Il y a aussi la poussière toxique qui oblige les sauveteurs à se relayer de quinze en quinze minutes, trop lourdement équipés.

Il y a la pluie, envahissante, éclaboussant comme une mousson, qui vient et va, et revient encore pour mieux tout glacer bien qu'elle soit trop chaude.

Il y a l'atmosphère humide et collante qui rend tout tragique.

Il y a les avocats, trop heureux d'offrir des services, qu'ils se feront grassement payer au pourcentage, aux survivants et aux familles des victimes et qu'on voit courir, le contrat à peine signé, s'en vanter dans l'heure sur tous les plateaux télévisés et dans toutes les langues.

Puis, il y a, et il y aura, le défilé des politiques qui promettront toute la lumière et jureront qu'on ne les y reprendra plus.


Un rapport d'ingénierie de 2018 disait que le bâtiment coulait, qu'il y avait des dommages structurels. Certains pointent d'autres causes : il était construit sur une très étroite langue de terre, et les eaux de la baie et de l'océan se seraient rejointes sous les fondations ; un superbe immeuble voisin avait été construit récemment causant des lézardes autour de la piscine ; des matériaux auraient été stockés pour refaire la toiture, un surpoids malheureux de vingt-deux tonnes sur le faîte ; une colonne de soutien du parking aurait été endommagée...Et puis, il y a l'air marin, le vent, la corrosion qu'ils entraînent.

Selon la formule consacrée, l'enquête fera la lumière sur ces éléments. Où ne la fera pas. On pointera des responsabilités. Cela ne ramènera personne à la vie. Ce qui serait bien, c'est que cela épargne celle des autres.


Le bâtiment entamait sa phase dite de "recertification", celle imposée tous les quarante et cinquante ans. C'est une procédure longue, qui nécessite des rapports d'ingénieurs et des inspections que les petites cités balnéaires, submergées de travail et engluées par les restrictions causées par la pandémie, ne peuvent pas gérer en un coup de baguette.

Ce matin, toutes les copropriétés construites depuis plus de quarante ans, se sont réveillées avec une affiche placardée sur leur façade : nous avons 21 jours pour déposer un rapport d'ingénieur attestant de l'état de nos structures sur le bureau de la mairie. Imaginons que tous les ingénieurs disponibles s'y mettent nuit et jour pour respecter ce délai, que fera la mairie dans vingt et un jours de ces rapports accumulés ?


Donc, que faisons-nous de ces morts ? Des rapports ? Des procès en dédommagement ? Bien sûr, c'est indispensable ! Ce n'est pas suffisant.


J'entends que l'immobilier en souffrira, que les gens n'achèteront plus en bord de mer, qu'il faudrait rendre ces bandes de terre, qui ont rejeté ce qu'on leur a greffé, à leur pristin état : celle de nature, vierge de l'homme.

Je n'y crois pas. Je connais Miami, et sans doute aussi la nature humaine. Seront sauvés, évidemment, les quatre cents bâtiments Art Déco classés de Miami Beach, et ceux des communes environnantes : ils sont bas, un ou deux étages, et faits du bon béton dont on construisait les bunkers. Seront, par contre, condamnés les "mauvais bâtiments", ceux des années 70-90, aux halls tapageurs inspirés des sitcoms de l'époque "Dallas" et "Dynasty" et au béton de mauvaise qualité.

Entre une "recertification" coûteuse et tout raser pour avoir un terrain vierge où poser une tour encore plus belle, plus grande et plus prestigieuse, le choix sera vite fait. Une opportunité pour les promoteurs. Car oui, Miami, le Phenix, est ainsi faite. Ma résiliente que j'aime passionnément. Même à terre, elle regarde le ciel, mais n'oublie pas sa poche.

Ici, la montée des eaux ne fait peur à personne : il suffira de monter les digues, de surélever les constructions. La terre gagnera sur la mer, les Hollandais l'ont fait. Dubaï aussi. Pourquoi pas nous ?!


Alors nous n'oublierons pas nos morts, et nous réciterons leurs noms, mais nous bâtirons plus solide pour attirer les vivants. Parce que Miami, c'est la vie. Effrénée, insupportable et si désirable.

...

Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones


Retrouvez son interview :





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