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Sentez-vous l'appel de la juste place - Isabelle Bary

Première publication de l'auteure belge à succès Isabelle Bary dans le blog, . Une bien jolie réflexion sur notre place dans ce monde, notre singularité et cette nécessité de la conserver.

Vous est-il déjà arrivé d’éprouver cette étrange sensation de ne pas convenir ? Chez moi, cela se produit régulièrement ! Un peu comme si deux chaises se proposaient de m’accueillir, mais que l’unique endroit où j’avais envie de me poser se situait exactement à mi-chemin entre chacune d’elles. Je me sens alors complètement dépourvue des qualités requises pour occuper les seules places proposées et une sorte de désolation intérieure m’envahit, une impression d’être à côté, en dehors, toujours trop tôt ou trop tard. À l’avance, par exemple, pour ce roman proposé sur les hommes ou l’invisible, alors que l’éditeur attend toujours des textes sur les femmes et les choses bien tangibles, mais tellement en retard lorsque, sous les regards gentiment moqueurs de mes amis, j’en suis encore à leur faire écouter des CDs. Se sentir entre-deux, inapproprié, décalé procure une tristesse confuse, comme l’interdiction à l’accès d’une forme de paradis, de reconnaissance et donc d’amour.


Bien sûr tout passe… il suffit de faire des efforts pour conformer.

Des efforts souvent vains parce qu’il est fastidieux de passer sa vie à tenter désespérément de rentrer dans la case de l’air du temps lorsqu’on est convaincu que c’est en dehors d’elle que se trouve notre vérité. Notre juste place. Mais il est si terrible aussi de renoncer à ces efforts, parce qu’il nous semble qu’il n’existe aucune autre solution confortable pour se faire entendre qu’en parlant la langue du plus grand nombre.

Il y a une facilité intellectuelle et émotionnelle à correspondre aux critères. Ensemble, bien à l’aise sous le regard consentant de ses semblables, on s’y dilue dans un prêt-à-penser collectif qui rassure et ressemble à l’amour.

Pourtant, si assumer ses propres positions, son ressenti particulier, ses impressions minoritaires, son « à côté de la plaque » a un arrière-goût d’amertume, s’il s’oppose à des refus, de l’incompréhension, des indignations parfois, il est aussi le réceptacle de tout ce qui est un peu curieux, étonnant, singulier, lumineux, avant-gardiste. Il est le ferment du changement. L’ennemi de ces clivages qui nous emprisonnent : féministes versus machistes, complotistes ou moutons, jeunes et forcément inconscient…


Et, si on ne vit pas « le cul entre deux chaises » impunément, si fréquenter cet endroit impose un saisissant inconfort, c’est là aussi, dans le désordre de notre juste place que nous pouvons accomplir ce que nous faisons de mieux. Exercer nos talents. Revenir à nous, à ce que nous sommes vraiment, à ce que nous pouvons accomplir pour les autres.

Parce que nous sommes le maillon d’une grande chaîne et que nos idées divergentes, si elles ne sont pas entendues aujourd’hui, seront peut-être écoutées demain, émanant de la bouche ou de la plume d’un autre auquel nous aurions ouvert la voie. Et rien, alors, ne semble vain.

Revenir à soi dans un monde qui, chaque jour davantage, nous pousse à penser comme tout le monde, voilà peut-être l’étrange paradoxe qui conduit à la juste place.



Trois des douze romans d'Isabelle Barry sont en vente sur l'ensemble des États-Unis sur Rencontre des Auteurs Francophones :



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