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Adeline, laisse-moi tenter de dessiner ton étoile avec des mots par Alexandre Comte

Adeline nous a quitté hier à 34 ans, nous laissant orphelins de ses amours, ses passions, ses colères, sa générosité, ses rêves, ses combats pour la justice et ses petites robes à pois. Le journaliste et écrivain Alexandre Comte a trouvé les mots justes pour exprimer notre tristesse et ce sentiment de n'avoir pas su retenir cette étoile si sensible. Les internautes rendent hommage à Adeline depuis hier sur Twitter avec tristesse et le coeur bien endeuillé.


Tu es partie. Je l’ai appris hier. Tu as mis « fin à tes jours », quelle drôle d’expression, toi qui était un soleil traversé d’éclipses qui te faisaient mal, et maintenant l’éclipse totale, le noir, et pourtant non, je vois encore ta lumière. Nous étions beaucoup à te connaître, à t’apprécier, à t’aimer. Ce que je vais raconter ici est bien sûr parfaitement subjectif. C’est moi qui te vois, mais un autre peut-être aussi te reconnaîtra. Même si je réalise, c’est peut-être le choc, que ma mémoire est parcellaire. Tant pis. J’écris. Je sais que c’est ce que tu m’aurais dit : « Écris ». Tu me manques déjà, alors d’accord, je laisse une trace de toi, je tente de dessiner une étoile avec ces mots.

Adeline, je ne l’ai rencontrée qu’une fois, un déjeuner à midi qui s’est étiré dans un après-midi constellé de rires et s’est terminé au petit matin après une longue nuit d’excès, de beaux excès, où l’on s’est tout dit. C’était un jour de printemps, elle avait une belle robe légère, elle était radieuse, elle souriait, on riait.

Mais Adeline, comme beaucoup ici je crois, je la connaissais avant de l’avoir vue. Je n’arrive pas à me rappeler depuis combien d’années on se suivait sur Twitter. Suffisamment pour que les choses aillent si vite lors de notre rencontre dans la vraie vie, pour que l’on se reconnaisse avant de se parler. J’ai tout de suite envie d’évoquer Twitter, car je crois que ce réseau lui a d’abord beaucoup apporté, lui a permis de s’envoler, avant de la broyer. À travers ses tweets émanait son extrême sensibilité à la beauté de ce monde. Je me rappelle avec émotion comme son cœur s’emballait devant un beau ciel, une fleur fragile et délicate, une chanson bleue, un poème rose. Je me rappelle les citations de grands écrivains et poètes dont elle raffolait et qu’elle postait régulièrement sur le réseau, avec beaucoup de goût. Je me rappelle — comme si c’était hier : tristesse immense — cette Adeline comme une fleur, fragile et délicate donc, cette Adeline qui souriait, cette Adeline qui croyait à la joie, qui la criait, qui aimait les autres à la folie, peut-être trop même, et qui avait un appétit, un appétit d’ogre pour la vie. Elle citait Sylvain Tesson faisant lui-même l’éloge des citations : « Les citations ne sont pas des paravents derrière lesquels se réfugier. Elles sont la formulation d’une pensée qu’on a caressée un jour et que l’on reconnait, exprimée avec bonheur, sous la plume d’un autre. Les citations révèlent l’âme de celui qui les brandit. » Si les citations révèlent l’âme, alors l’âme d’Adeline était pleine à craquer de douceur, de tendresse, de rêves, d’idéaux, de combats et d’amour. Beaucoup d’amour. Elle en donnait sans compter. Ceux qui l’ont rencontré le savent de façon sûre, mais aussi ceux qui n’ont connu son existence que sur Twitter. Parmi les écrivains qu’elle aimait le plus citer, il y avait l’immense et tendre Camus : « Il y a dans chaque cœur un coin de solitude que personne ne peut atteindre » « Le bonheur est la plus grande des conquêtes, celle qu’on fait contre le destin qui nous est imposé » Et l’ami poète Emerson : « La marque constante de la sagesse est de voir le miraculeux dans le banal » « Être soi-même dans un monde qui essaye constamment de vous en empêcher est la plus grande des réussites »

Adeline voyait le miraculeux dans le banal, le bonheur atteignable, pour elle, et pour tous, malgré les coups, les griffures, les morsures du destin, si mauvais qu’ils en laissaient des cicatrices : une jeunesse abîmée, un présent encore hanté, le manque d’argent (eh ouais, ça détruit les gens ça aussi), et dans son cœur un coin de solitude que personne ne pouvait atteindre, alors que pourtant, c’est très certainement ce dont elle avait besoin, par-dessus tout : d’être aimée. Comme tout le monde ? Oui et non. Adeline avait besoin d’amour pour respirer, pour faire un pas après l’autre, pour ne pas tomber. Parce qu’il y avait un trou dans son cœur. Le destin ? Non, la vie. La vie qui lui avait fait ça. La vie qu’elle aimait, malgré tout, qu’elle aimait tant : qu’elle adorait. Quand je l’ai rencontrée en vrai, on s’est tout de suite reconnu, sans s’être jamais vu, juste des messages quotidiens ou presque, des « Bonjour chouchou » auxquels je répondais « Bonjour doudou », de nombreuses et interminables discussions en messages privés, des tweets, des retweets, et des favs, Twitter quoi — je me souviens soudain avec fierté qu’elle m’appelait parfois aussi, généreuse, « toi jeune poète ». Combien de personnes l’ont aimée, ne serait-ce qu’à travers Twitter ? Des centaines au moins. Des milliers peut-être. Sa présence sur le réseau pouvait être si lumineuse, pétillante, vivante, vibrante, attentionnée, que beaucoup, je le sais, s’étaient extrêmement attachés à Adeline. Oui, Adeline était attachante. Follement attachante. Mais comme je l’ai dit, il y avait aussi un trou dans son cœur, un obstacle au bonheur. Tous ceux qui lisent ce texte connaissent le noir de certaines de ses nuits. La colère, la rage même, la grossièreté assumée envers les plus forts qui écrasent les plus faibles, envers tout et tout le monde parfois. Les fautes d’orthographe inhabituelles qui constellaient alors ces tweets nocturnes trahissaient sa plongée dans le vide, dans la peur, dans la solitude, dans un combat épuisant et perdu d’avance. Je l’ai dit, ce texte est complètement subjectif et j’assume chacun de mes mots. Je me suis souvent posé la question. Qu’est-ce qu’il se passait en elle dans ces moments-là ? Quels démons se réveillaient ? Je ne le sais pas. Mais comme je voulais comprendre, j’ai cherché tout de même. J’ai pensé à l’alcool, j’ai pensé à la bipolarité. Je me suis peut-être complètement trompé. Dans tous les cas, peu importe, c’était aussi sa liberté. Jamais je ne me suis permis de juger. Ces derniers mois, Adeline et moi étions en froid. Bêtement, si bêtement que je m’en taperais la tête contre les murs, nous nous étions envoyés des mots qui blessent. Pour rien. Vraiment pour rien. Je le regrette, mais c’est ainsi, c’est la vie, tant pis, et ça aussi elle m’aurait dit : « Tu l’écris ». « Le seul danger de l’amitié est qu’elle prenne fin. Bien que sauvage, c’est une plante fragile. La moindre déloyauté, même inconsciente, suffit à la vicier. L’ami doit savoir que les défauts qu’il remarque chez son ami attirent les siens. »

Henry David Thoreau (un autre de ses chouchous, je l’ai dit, Adeline avait du goût) De toute façon, au fond, nous savions l’un comme l’autre que « le pont » (Adeline rêvait de ponts pour relier les êtres, elle rêvait d’harmonie, d’un monde plus doux, d’un monde à deux aussi, avec un amoureux qui la mériterait) le pont donc, qui existait entre elle et moi, était toujours là, et qu’un jour très proche il redeviendrait palpable, tangible, et qu’on pourrait à nouveau y courir et y danser comme dans un film de Léos Carax, mais en tant qu’amis, que grands amis, plutôt qu’amants, d’abord parce que je suis gay, et ensuite parce que je ne la méritais sûrement pas. Mais le fait est qu’on s’était promis qu’on se pardonnerait. Et je crois qu’au fond de nous c’était déjà fait. Je le crois fort. Adeline, doudou, mon cœur, même si je sais « qu’il y a des larmes d’amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel » (Charles Péguy), même si je sais « qu’il ne suffit pas d’avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent » (Rainer Maria Rilke), même si je sais que « l’arrivée de l’amour dans une existence est comme la beauté, comme la mort aussi » (Albert Camus)… je sais surtout que « nous sommes tenus ensemble, comme les étoiles dans le firmament, par des liens inséparables, des liens qui ne peuvent être vus, mais que nous pouvons sentir » (Nikola Tesla).

Alors… « Il est grand temps de rallumer les étoiles… », comme l’a écrit ce cher Apollinaire. Parce qu’Adeline, tu manques à tout le monde ici.



Alexandre Comte - 8 juillet 2022



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