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DISTINGUER LE VRAI DU FAUX. UNE INTRODUCTION À BRAIN-CENTRIC

Un nouvel article passionnant du mathematicien, homme de sciences, philosophe et écrivain suisse, Ronald Cicurel.


Pour analyser les sociétés humaines, un virus est un outil plus puissant qu’un microscope. S’il y a une période historique où chacun peut apprécier l’importance de la vérité, c’est bien celle que nous traversons maintenant[1]. Inondés d’informations contradictoires, baignées dans la corruption, les intérêts particuliers, les campagnes de marketing et autres tentatives de manipulations, quoi croire, à qui donc faire confiance alors que le mensonge est la nouvelle norme et le paraître est roi. Certainement pas à ceux qui ont quelque chose à nous vendre. Mais ceux qui n’ont rien à nous vendre généralement se taisent. Ils refusent d’entrer sur les divers terrains où se livrent les batailles de persuasions, car ils savent que, dès qu’ils y mettent le pied, ils deviennent ce qu’ils refusent d’être : quelqu’un qui a quelque chose à vendre. Aristote déjà remarquait que les demi-savants sont plus dangereux que les ignorants. Mais en cette époque de réseaux sociaux, chacun veut savoir, chacun veut communiquer et tout le monde a raison. Les ballons de rumeurs se gonflent et se multiplient à la vitesse du wifi, et les célébrités express se font élire sur l’apparence.

Il est donc bon de prendre un peu de recul, le temps de quelques pages, se souvenir de choses que les frénésies sociales, les courses commerciales et les nécessités de briller nous obligent à négliger.


Ces choses que nous savons si bien que nous les avons oubliées. La raison et le cœur plutôt que la tricherie et le mensonge. Donner plutôt que de prendre. Questionner plutôt que d’être certain. Se mettre en retrait, plutôt que de s’imposer. Le mensonge entraîne toujours plus de mensonge jusqu’au jour ou l’édifice s’écroule.



Distinguer le vrai du faux, l’opinion du fait, l’inférence de la déduction et la vérité du mensonge n’est pas aisé. Seuls les faits peuvent nous guider comme le rappelait récemment le romancier David Brin en citant Robert Heinlein :

Quels sont les faits ? Encore et encore et encore — quels sont les faits ? Évitez les vœux pieux, ignorez les révélations divines, oubliez les prédictions célestes, fuyez les opinions, ne tenez pas compte de ce qu’en pense le voisin, peu importe l’imprévisible « verdict de l’histoire » — quels sont les faits, à combien de décimales ? Vous piloter toujours vers un futur inconnu ; les faits sont votre seul guide. Trouvez les faits ! Robert Heinlein.


Cependant peu d’entre nous sont enclins à rechercher imperturbablement les faits, dans la vie quotidienne nous n’en avons simplement pas le temps et souvent nous ne trouvons pas la nécessaire distance intérieure. Dans de nombreux cas, une observation personnelle directe n’est pas possible. Nous nous contentons alors de rumeurs de seconde main, d’approximations ou d’inférences. Bien souvent nos perceptions sont biaisées par nos désirs, par les pressions de conformité et les attentes des autres. Distinguer le vrai du faux cela commence forcément en trouvant une « vérité intérieure », une paix, un état où désirs et craintes n’ont plus d’influence sur le jugement et, dans lequel, nous n’avons de comptes à rendre à personne. Tout se simule aujourd’hui, tout s’habille, se décore, s’enjolive ou se cache. Nous avons même oublié la personne qui se dissimule sous l’apparence. Pourquoi simuler sinon pour tromper ? Pour quoi tromper sinon pour se refuser soi-même, pour se refuser le droit d’être unique et différent ? C’est là que commence toute vérité.




Distinguer le vrai du faux est certainement la question qui a eu le plus de conséquences pour l’humanité au cours de son histoire. Toutes les guerres commencent par un mensonge, il n’y a de paix durable que dans la vérité. Nos décisions sont basées sur nos interprétations de l’information qui nous parvient. Une information fausse, mensongère ou non factuelle et nous voilà embarqués sur une trajectoire absurde avec ses douloureuses conséquences. Une fausse interprétation et voilà notre démocratie elle-même qui vacille sur ses bases, voilà un homme injustement humilié ou condamné, un incapable nommé à un poste de pouvoir, une union brisée, une paix entre nations compromises. Femmes, hommes, institutions, états, toute notre société est dépendante de la vérité et vulnérable au mensonge. Distinguer le vrai du faux est donc vital.


La vérité d’un discours caractérise sa conformité aux faits. C’est vers eux qu’il faut se tourner pour éviter les pièges de la parole et de l’inférence. Et voilà bien la difficulté.

Lorsqu’il s’agit de faits « matériels », nous n’avons pas trop de peine à nous mettre d’accord, nous pouvons observer. Mais lorsqu’il s’agit de faits « spirituels », comme une intention, une prévision, un sentiment, un jugement de valeur, une interprétation, les choses se compliquent. Il n’y a rien à montrer pour convaincre, la parole est seule à la barre.



L’essentiel de nos décisions est pris en faisant confiance à d’autres, en adhérant à leurs vérités/opinions. Mais dans un climat perturbé où tout et son contraire se racontent, à qui, à quelle organisation, sur quelles bases accorder notre confiance ? Comment ne pas être soi-même pris dans les tourbillons virevoltants des contrevérités et des experts qui n’en sont pas, ou pire, qui en sont à moitié ?


Face aux absurdes orages de contradictions permanentes, face à la bêtise de certains règlements, nous en arrivons à ne plus croire personne. Surtout pas les explications « officielles » vendues abondamment par les médias. Progressivement et sans même nous en rendre compte, ayant quitté les autoroutes de la pensée, nous devenons vulnérables aux idéologies les plus invraisemblables. Plus parce qu’elles s’opposent aux croyances communes, qu’en raison des preuves factuelles qu’elles nous présentent.



Plus nous nous éloignons de l’observation directe de faits, plus nous vivons dans le monde de la parole, plus cette parole est abondante, plus nous sommes à la merci des rumeurs, des interprétations et des hypothèses plus ou moins conscientes. Ce n’est pas seulement le cas dans la vie de tous les jours, c’est aussi le cas en sciences.


Henri Poincaré, en 1902 nous expliquait déjà, dans son remarquable livre « La science et l’hypothèse » que même les « vérités scientifiques » dépendent de conventions entre experts. Nous devons nous en accommoder. D’après le philosophe des sciences Thomas Kuhn, la science repose sur des hypothèses non démontrables, des paradigmes. Lorsque s’accumulent trop de mesures expérimentales contredisant le paradigme, une période de crise survient jusqu’à l’adoption d’un nouveau paradigme plus compatible avec les mesures observées. Le physicien Lee Smolin estime, par exemple, que les neurosciences ont pris un retard de dizaines d’années sous l’égide du paradigme erroné que le cerveau est un ordinateur digital.



Au niveau de l’individu, les choses sont encore plus confuses, il se laisse plus facilement guider par la seule parole n’ayant pas les moyens d’observer ou d’expérimenter. C’est là qu’intervient le choix : à qui faire confiance ? Notre espace mental tend à percevoir les éléments qui confirment nos croyances et à négliger ceux qui pourraient les contredire. Nos « observations » sont biaisées par notre histoire personnelle, c’est elle qui détermine nos attentes. Nos attentes sélectionnent nos observations et nos croyances modèlent ensuite nos interprétations. Nous tendons à nous entourer de personnes qui partagent nos idées, évitant ainsi de trop les remettre en cause.


Nous ne communiquons pas que pour informer, nous anticipons, calculons et adaptons notre discours en préfigurant les réactions de l’autre. La parole cache toujours des fins étrangères au contenu même du discours. En écoutant, ce n’est pas seulement ce que l’autre dit qui va compter, mais notre estimation de ses intentions, ce qu’il veut vraiment. Cette estimation, influencée par nos attentes, va déterminer comment nous recevons un discours et la confiance que nous y accordons. Inconsciemment, avec le temps, trop souvent abusés, nous nous fermons, nous enracinant de plus en plus dans notre système de pensée.

Ces caractéristiques de l’espace mental rendent compliqués, longs et périlleux les chemins de sortie d’une croyance mal fondée.

Les choses seraient évidemment plus simples s’il y avait une vérité absolue. Si nous pouvions observer des « faits ». Mais la plupart de nos choix portent sur l’immatériel, sur le non observable pour lequel les repères « là dehors » n’existent pas. Là c’est l’avenir seul qui détermine si un choix était une erreur. Il faut attendre d’en souffrir pour regretter de l’avoir fait.



Vrai, faux, mensonges dépendent de l’utilisation d’un langage. Manier volontairement le langage pour gagner de l’influence, pour faire croire et arriver à ses fins a, depuis toujours, été utilisé par les humains. Notre créativité en ce domaine s’est montrée sans limites.

Ce texte constitue l’introduction à un fascicule dont l’objet est d’éclairer un peu les chemins de la pensée, les fonctionnements de l’espace mental. Non point les chemins illusoires qui mèneraient à une vérité absolue qui n’existe pas. Mais ceux que nous pouvons tracer nous-mêmes pour assurer au mieux notre survie et celle de notre environnement.


[1] fin 2020, début 2021



Les livres de Ronald Cicurel sont disponibles aux USA


Retrouvez l'interview de Ronald Cicurel

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