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FAITES ATTENTION AUX BAOBABS - NOUVELLE

I-Mbour, Sénégal


« Toutes les étoiles me verseront à boire ». Saint – Exupéry

Il est midi au pays des baobabs, la chaleur déjà sévit, contraignant les enfants du SOS Village de Mbour à se réfugier à l’ombre des flamboyants. La plage, en bordure du Village est désertée par les pêcheurs. Les pirogues jaunes, rouges et vertes y sèment des empreintes colorées, attirant le regard de Sally.


La fillette de 10 ans rêve d’échapper à la surveillance des adultes, se hisser dans une pirogue et s’en aller loin, jusqu’à la France, ce pays qu’elle imagine, derrière l’Océan. Boubakar, son camarade, fier de ses 12 ans, ne l’aidera pas. À chaque fois qu’elle lui parle de la France, il se moque d’elle. Cette France où il y a Stella, sa marraine, qui veille sur elle, de loin, et grâce à qui Sally se sent moins seule au monde. Sally n’a jamais vu Stella en vrai, sauf sur la photo au-dessus de son lit, à côté des cartes postales qu’elle lui envoie depuis la France. Stella n’a jamais vu Sally, même si elle a promis de venir la voir. Sally joue en silence avec ses cauris. Autour d’elle, les autres enfants, aussi orphelins qu’elle, jouent aux billes, dans des éclats de rires. D’autres jouent à la marelle. Sally n’a pas envie de jouer avec eux, aujourd’hui. Boubakar a beau venir la houspiller, elle veut rester à l’ombre, avec ses cauris.

Demain, c’est la rentrée des classes, la première rentrée, pour Sally. Grâce à Stella, elle va avoir la chance d’aller à l’école. Les autres enfants n’ont pas tous, cette chance. Boubakar n’a pas de marraine, ni de parrain. Sally est triste pour lui. L’éducation est un trésor. C’est ce que Stella lui a écrit, un jour, sur une carte postale où l’on voyait la mer. Fermant les yeux, elle est sur le point de s’assoupir, dans la moiteur de l’air. L’écho de son prénom lui parvient, lointain, la sortant de sa léthargie.


Mamadou, le responsable du Village l’appelle. Se relevant vite, Sally quitte son refuge ombragé pour rejoindre la plus grande case. Sur le seuil, elle s’arrête un instant, le temps que ses yeux, éblouis par la lumière extérieure s’accoutument à la pénombre de la case. - Sally, tu as reçu un colis. - Un colis ? Pour moi ? - Oui. Approche. Viens voir. Ton nom est écrit dessus. Tu le reconnais ? Ça vient de France. - De France ? C’est Stella ? - Oui. C’est ta marraine qui l’envoie. Sally, bouche bée, observe ce carton rectangulaire posé sur la table, n’osant à peine y toucher. D’habitude, de Stella, elle reçoit des enveloppes avec des cartes colorées où se trouvent quelques mots que Mamadou lit et relit pour elle. Des mots que Sally mémorise, faute de ne pouvoir les lire. Mais un colis, c’est bien la première fois ! -Vas-y, Sally. Ouvre–le. Voyons ce qu’il y a dans ce paquet. Sally s’empare du carton volumineux, l’emporte jusqu’au fond de la case, le pose avec précautions, sur le sol en terre battue. Se mettant à genoux, elle le caresse de sa main gauche. Soudain, l’excitation. La hâte de découvrir le trésor qu’il renferme. Sans plus attendre, la fillette se débat avec les bandes adhésives, sous le regard ému de Boubakar venu les rejoindre. Boubakar sait qu’il ne doit pas intervenir. Ce moment appartient à Sally, rien qu’à elle. Il se contente d’être un témoin silencieux. Un pan, un autre pan. Le carton s’ouvre. Au fond, reposent des trésors de bonheur. Sally en extirpe un cartable enveloppé dans un écrin de cellophane. Sur le cartable bleu et rectangulaire, une illustration représente un petit garçon de vert vêtu aux cheveux jaunes, comme les étoiles qui l’entourent. Et puis, des mots. Que Sally ne sait pas lire, encore. Elle apprendra. - Mamadou, dis-moi ce qui est écrit. - « Il faut chercher avec le cœur ». Sally mémorise ces mots, se les répète, en leitmotiv, dans sa tête. -C’est qui le garçon sur le cartable ? demande Boubakar. - C’est le petit prince, répondit Mamadou. Puis, se tournant vers Sally, il dit : « ta marraine t’a fait un beau cadeau. Ce cartable est magnifique. Prends-en soin, Sally. » Sally, éperdue de joie, continua de sortir du carton les autres trésors : une trousse, bleue comme le cartable, des crayons aux mille couleurs, des stylos, des cahiers, une gourde bleue...

Tout un univers magique se déployait sous les yeux ébahis de la fillette qui luisaient dans la pénombre de la case, tels « des étoiles qui savent rire ». Mamadou, tandis que Boubakar sortit en silence, ne savait s’il devait remercier Allah, la vie, un ange gardien ou un Djinn, pour avoir mis sur le chemin de Sally, une marraine comme Stella, cette femme qui prenait à cœur son rôle et bien au-delà. Si seulement les autres enfants du SOS Village pouvaient avoir la même chance, leur existence n’en serait que plus heureuse. Savoir que quelqu’un, quelque part, s’inquiétait pour eux, était là pour eux, à l’instar de Stella. Perdu dans ses réflexions, il sentit soudain qu’on le tirait par la manche de son boubou. Sally tendait vers lui un livre, dans un coffret. - C’est Le Petit Prince ? Son histoire ? - Comment tu sais, Sally ? - C’est le même garçon aux cheveux jaunes comme les étoiles. - Oui. C’est bien son histoire. Stella t’a gâtée, Sally. Tu es une petite fille bien chanceuse. - Tu me lis l’histoire, Mamadou ? - Non Sally. Tu vas la lire toi-même. C’est pour ça que Stella te l’envoie. Pour que tu la lises. Et pour avoir le droit d’exister, comme tous les enfants du monde. - Lire, écrire, exister. Je veux apprendre à écrire, pour écrire à Stella, moi aussi. Heureux de l’entendre prononcer ces mots, Mamadou l’aida à ranger tous ses trésors dans le carton - Tu lui fais un dessin, à Stella, pour la remercier ? - Le plus beau dessin ! Je vais dessiner le petit prince ! II- Montpellier, France (Dix ans plus tard) « Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes » Saint-Exupéry Sally sort de la Faculté de Lettres. Elle a hâte d’aller rejoindre Stella, Place de la Comédie, près de la fontaine des Trois Grâces. Si Sally a obtenu sa Maîtrise en Lettres, ce qui va lui permettre d’être professeur à Dakar, c’est à Stella qui a veillé sur elle, qu’elle le doit. C’est elle qui l’a envoyée à l’école, au collège, au lycée, l’a accueillie chez elle, à Montpellier, pour ses études universitaires. Stella à qui elle devait la chance d’exister, en tant qu’être humain digne. En l’absence de Stella, que serait-elle devenue ? Vendeuse derrière un étal de poisson séché au marché de Mbour, à l’instar de Fatimata, sa camarade au Village SOS ? Seulement, Sally avait eu Stella, qui lui a donné le droit sacré à l’existence choisie, aussi sacré que les baobabs de sa terre natale. Tout à l’heure, en lisant son nom sur le tableau des admissions, accolé à la mention « Très Bien », Sally s’est revue, petite fille, portant son cartable étincelant, sur le chemin de l’école, pour la première fois. Que de chemins arpentés, bordés de baobabs, depuis ces instants où j’ai découvert la lecture, l’histoire du petit prince où je trouvai, comme par miracle, un baobab. Maintenant, dans ce tramway bleu orné d’hirondelles m’emportant vers Stella, je sais que c’est à mon tour d’offrir une « étoile », une existence à ces enfants de chez moi à qui j’apprendrai à lire et à écrire. Ils existeront à leur tour, dignement. Stella m’attend. Et au bout de ce chemin, un autre chemin attend, qui mène à l’existence, au droit à l’existence de ces orphelins disséminés dans des Villages d’enfants, en attente. SOS. « Tu entends, dit le petit prince, nous réveillons le puits et il chante ». Stella et moi, nous le réveillerons. Les enfants découvriront, au pays du baobab, la lecture et l’écriture. Et ils chanteront. Ils seront libres d’exister, par l’éducation. Car l’éducation, comme « l’eau, peut être aussi bonne pour le cœur... »


Un des romans de Mona Azzam est disponible en exclusivité aux USA :







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