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IL FAUT TOUT TRAVERSER...

La vraie félicité c’est d’être un parfait inconnu, pour tous et pour soi-même, sans passé, sans mémoire, n’ayant d’autre futur que le bleu crépuscule planant sur une ville dont vous ignorez tout.


Aucun voisin à saluer, pas d’amis, sans famille et n’être tout entier qu’un regard envoûté sur le monde qui passe. La rue est le théâtre d'ombres qui jouent à exister dans le bain électrique de la publicité.

Oui, je n’ai rien éprouvé de plus délicieux que cet étrange hors-lieu, hors-temps, euphorique abandon au seuil du grand oubli. Etre au-delà de tout et à la fois formidablement présent. Lourd, ancré, inamovible et à la fois léger, sans jugement, presque invisible. Seule fonction: s’imbiber de la vie, du moindre filet d’air et du pas cadencé de ceux qui savent où ils vont, ce qu’ils font, avec cet air absent impliquant un statut, des missions, des horaires, un trajet.

Il y a l’ennui, le zèle ou la gaieté des garçons de café. Le bruit des clefs dans des mains blêmes indiquant que l’on sait à quel verrou on est voué. Rires et hurlements des bandes pour qui le bruit est la seule manière d’afficher leur insolente santé. Et puis parfois il y a ces cris autour des roustes de minuit, des coups de freins glaçants comme des morts frôlées, des cris lancés au ciel déchirant le sommeil des braves gens aux yeux cernés, des motos arrachant le lourd velours des nuits. Et il y a ces fenêtres, doubles vitrages, rares et éclairées sur des vies en joggings bien recroquevillées sur des joies, de l’envie, de l’ennui et des drames avec en fond les lancinants relents de friture, d’égouts et de légumes rances derrière de lourdes portes cadenassées.

Sur le goudron mouillé et les plaques d’acier et les pavés brillants comme des berlingots claquent les talons hauts, les derniers, d’un retour décidé.


Et j’en aurais des milliers de détails à rajouter! Mais ce serait trahir le seul chemin doré qui a guidé ma vie d’infatigable promeneur.

Comme il est bon enfin de marcher, nez en l’air, sans savoir où l’on va, quitter les centres, les rues, les avenues et les banlieues oranges vers les premiers buissons, les premiers champs de blé, les premières forêts, sur des chemins de terre qu’il faut vite quitter pour éviter les chiens et tous les barbelés.

Sans cesse se cacher dans des coins sombres et secrets, s’allonger sur des feuilles, des mousses pleines d’odeurs, sous le grand sombrero d’une éternelle et silencieuse Voie lactée. Ruminer des prières au dieu des vagabonds et puis soudain quitter la Terre comme un oiseau de nuit frôlant la cime des peupliers, droit vers la pleine lune dont on croque un morceau bien glacé avant de se jeter plus avant, pour de bon, les yeux fermés, dans le noir absolu qui est venu nous chercher au fin fond de nos fuites. Car lui seul nous connait, lui seul nous conduit, nous engloutit et nous lance au paradis des bienheureux oubliés.


Alain Cadéo.

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