Faut que je fasse gaffe, tendance à laisser traîner des fautes d’inattentions ou pondre des phrases toutes faites. Se relire dix fois. L’exigence, même pour formuler des choses simples, ne veut rien laisser passer qui ne soit pas avec exactitude le reflet de la pensée.
Cet outil, l’ordinateur, machine à écrire améliorée, donne l’illusion de la facilité et devient vite ordonnateur dictant des évidences. Ça coule sous les doigts et c’est comme imprimé. Gare à l’orgueil, petit péché du scribouillard, se prenant pour un grand parce qu’il est à moitié publié.
D’accord pour la rapidité. D’accord aussi pour le fait de se détacher de ses monomaniaqueries graphiques, quoi qu’il soit bien dommage d’avoir abandonné le cheminement visible d’une idée se frayant une voie entre rajouts, ratures, scolies, repentirs, petits dessins, taches de gras et de café et autres signes tangibles d’un labeur si particulier. Il n’y a de meilleure cuisine que celle que l’on voit préparer.
Désormais nous avons effacé les traces de nos efforts. Pourtant rien n’est plus savoureux que de découvrir l’œuvre d’un peintre à partir de ses croquis, les nombreuses ébauches d’un architecte ou celles d’un musicien, les marges d’un scénario nourries d’esquisses préfigurant les plans et mouvements de caméra. Il y a là-dedans le véritable sang humain, les états d’âme et tout l’attirail des nerfs, cette tension particulière conduisant à l’œuvre réalisée.
Ici, dans nos nouveaux formats, en tous les cas pour l’écrit, rien qu’un produit fini. C’est comme un maquillage ayant couvert le visage des nuits, l’Etna de nos envies, les rides de l’hésitation, les gouffres de nos pannes et ce débit précipité de mots parfaits se bousculant dans un désordre nu sans queue ni tête, nos plumes à l’assaut d’une forteresse imprenable: l’absolu à portée de nos mains, cette belette courant plus vite que l’air frais.
Alain Cadéo
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