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JOURNÉE DE LA SHOAH - L'hommage de Michel Tessier à ses grands-parents

Le monde commémore la Shoah ce jeudi. L'auteur français de Miami, Michel Tessier, a écrit un livre très émouvant, en hommage à ses grands-parents. Extrait.

Lea Mouschkat

Assise au sol le dos à la cloison repliée sur elle-même.

Maman, Papa et mes petits frères et sœurs.

Comment vont-ils ? que font-ils ?

Nous avons été séparés au moment de la montée dans le train, les gens étaient collés les uns aux autres, entassés, le wagon était bondé alors avec ceux qui restaient du convoi, ils m’ont poussé vers un autre wagon presque vide, ils ont fermé la porte et je me suis retrouvée seule avec ces personnes que je ne connais pas, dans le noir sans rien, aucune de mes affaires, elles sont dans la valise de mes parents, avec eux dans l’autre wagon ! J’entends encore dans ma tête les cris de Maman et Papa qui m’appelaient, on hurlait ensemble quand ils m’ont amené, je pleurais, mon cœur était si triste et mon âme tremblait de peur, ainsi que mes jambes et mes doigts de pianiste.

Dans ma détresse et mon désespoir, une lumière est apparue éclairant mes dix-sept ans.

Je ne connaissais rien de la vie, des autres et surtout des hommes.

Je n’allais plus au Lycée portant l’étoile jaune !

La maison, à Paris où je vivais avec ma famille était un havre de paix fermé et chaleureux.

Ils me manquent tant !

J’ai mal à l’âme !

Et la lumière est venue.

Au début à peine éclairé par des éclairs venus de la lucarne et des interstices des planches du wagon.

J’avais remarqué son visage d’ange aux cheveux blonds.

Quand je le regardais, il baissait les yeux et quand il me regardait c’est moi qui intimidée, tournait la tête.

Une journée entière dans le wagon c’était comme une plaie ouverte, une horreur.

J’ai décidé de ne plus rien voir de ne rien sentir de fermer les yeux, de ne plus penser à rien sauf ses cheveux blonds et ses yeux de la même couleur que les miens.

Plus tard ses cheveux, ses doigts son regard, son venu se mêler aux mien.

Salomon est mon amour, mon seigneur et maître.

Mon chevalier s’appelle. Salomon

Mon roi, celui que toutes les jeunes filles attendent

S’appelle Salomon.

Non je ne penserai pas à mon corps et à ceux des autres à ces besoins que nous faisons mécaniquement.

Les uns et les autres.

Je veux seulement penser à cette main qui m’a caressée, et à cette voix qui m’a apaisée.

Je ne connais rien de l’amour et des choses du corps, mais j’ai senti quelque chose en moi s’éveiller quand il a passé sa main sur ma poitrine et sous ma jupe, tant de douceur comme un éveil au printemps,

Une Sonate d’automne. L’été 1942, septembre, un train dans la nuit, la terreur, et moi Léa dans les bras de mon Roi de mon Shloïmé.

Salomon Perlberg

Trois jours sans lumière, dont deux jours d’amour, elle est là à côté de moi étendue à terre dans ce foin, dans cette puanteur parmi eux les autres qui puent la peur et la sueur, la pisse et tout ce reste que je ne veux même pas imaginer.

Si proche de moi par ses dix-sept ans.

Léa je te regarde et tu me regardes cinq ans nous séparent et nous rapprochent, j’ai connu des femmes et des printemps à Paris.

Oh ! Léa t’emmener dans ces printemps de Paris ou les jeunes filles sont si belles, tu les aurais surpassés par ta beauté, toi que j’aime tant depuis deux jours, quarante-huit heures et ces minutes, les merveilleuses minutes.

On se tient par la main, on est souillé de saleté et d’humiliations, c’est un festival d’abstraction et de genres mélangés, comme à l’exposition du palais Berlitz :

« LE JUIF »

Le juif reconnu par ses oreilles, ses cheveux bruns, son nez crochu et ses lèvres épaisses.

Mais je suis blond aux yeux bleus, un petit nez, des lèvres plutôt sensuelles qu’épaisses, grand et costaud le type même de l’aryen.

Salomon l’aryen ? Shloïmé comme on m’appelle dans le « Pletzl » le quartier juif.

Shloïmé, le tailleur, à l’atelier ou je travaille chez monsieur Katz je couds des boutonnières comme j’ai appris à Varsovie.

Et ma petite Léa avec ses nattes blondes, une carte postale pour la Bavière, une poupée russe aux yeux bleus de porcelaines.

Une enfant, une jeune fille si belle et pure séparée de sa famille à l’embarquement.

Une lumière dans l’obscurité et la nuit chaude et puante du Wagon.

Je l’ai caressée partout, j’aimerai la prendre là dans la pénombre et la moiteur, être le premier, à lui faire l’amour.

Lui faire l’amour.

D’autres le font sans pudeur dans la complicité des ténèbres, je les ai entendu et même vu, ils gueulaient leur plaisir, leur sexe, leur peur, un instant d’oubli, un instant car peut-être il n’y en aura plus jamais d’autre…

Léa c’est ma fiancée, ma moitié, mon âme sœur, ma pure, ma douce, elle sait que je l’aime et que nous sommes l’un à l’autre pour l’éternité.

Elle est gênée que je la touche à cause de la saleté et du dénuement, nous n’avons rien, je la respecte tant.

Ah ! Qu’elle soit mon épouse, dans sa robe blanche, avec une longue traîne, qu’elle tourne Sept fois autour de moi…

Partager le verre de vin sanctifié !

Avec moi et nos familles.

« Mazeltov Shloïmé, Mazeltov Léa, comme au shtettle.

Mazeltov les Perlberg, Mazeltov les Mouschkat. »

Et nous voilà collés l’un à l’autre devant cette lucarne que j’ai gagnée de mes mains en écrasant les autres, des têtes et des ventres aussi affamés que le mien, criant de ma gorge asséchée, de mes lèvres à peine humectées par le doux baiser de Léa, ma vie..

L’enfiler, la baiser, comme disaient mes copains Mottle et Avram de l’atelier, ils parlaient comme ça de leurs conquêtes pour se vanter, pour avoir l’air affranchis.

Comme eux, je leur ai raconté la même chose bêtement sur Odette.

Pardon Odette je leur ai dit des horreurs, pour faire bien ! Comme eux ! Pardonne-moi, on se gavait de mots, de liberté, de jeunesse.

Dehors quand c’était avant l’étoile jaune.

Dehors quand c’était avant Léa, avant Drancy.


Le livre "wagon" de Michel Fremder est disponible sur Rencontre des Auteurs Francophones


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