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Juju fugueur, tranche de vie signée Pom Ehrentrant

Avant d'écrire son premier livre, Pom Ehrentrant a tenu un blog drôle et impertinent à la naissance de ses jumeaux. Voici l'un des articles, qui donne le ton de son ouvrage, disponible sur Rencontre des Auteurs Francophones.


Cette merveilleuse période de pandémie mondiale que nous avons fort heureusement laissée derrière nous, faisait alors encore rage.

Cela faisait pratiquement deux longues années que nous vivions enfermés, assignés à résidence, et Trystan a - comme souvent - magnifiquement trouvé les mots pour exprimer le sentiment général qui a prévalu dans notre famille à cette époque.

Flashback :

C'était en juillet 2021, nous étions encore au Vietnam, durant la période critique de confinement de la ville de Saigon. Là bas, pas le droit de sortie pour le chien, le chat ou le hamster, comme en France, non ! (Pardon...)

Il s'agissait d'une interdiction totale de déplacement qui allait d'ailleurs bientôt se muer en interdiction absolue, même pour le ravitaillement alimentaire.

Les garçons venaient de terminer leurs visio-conférences du matin, ils avaient deux heures de pause avant la reprise de l'après-midi, durant lesquelles je leur avais demandé de faire un peu de lecture dans le canapé du salon, pendant que je préparais le déjeuner dans la cuisine.

M'activant sur les derniers légumes que j'avais réussi à dégotter sur les étals désespérément vides des magasins, j'ai donc laissé les enfants seuls une bonne vingtaine de minutes.

Retournant dans la pièce principale, je trouve alors Tancrède concentré sur son livre.

Seul.

- "Bah mon coeur, il est où ton frère ?"

Sans lever les yeux de son ouvrage :

- "Il est parti."

- "Parti ? Comment ça, parti... ?"

- "Bin parti, m'an. Comme dans il-a-pris-son-sac-et-il-est-sorti."

- "Pardon ?!?!"

- "T'inquiète. Y' va rev'nir."

- "Tancrède... Tu me fais marcher... Tu plaisantes ?"

- "Bin nan."

Sentant la panique s'insinuer dans le creux de mon estomac, je monte les marches de la maison quatre à quatre pour jeter un oeil dans leurs chambres et à l'étage.

Personne.

Je constate en effet que le sac à dos de Trystan n'est plus là et que sa penderie est restée ouverte.

Je redescends comme une furie dans la salon en hurlant, telle une possédée:

- "COMMENT ÇA IL VA REVENIR ?! MAIS ENFIN TANCRÈDE TU PLAISANTES? IL EST OÙ TRYSTAN ?!?!?!?!?"

Calme olympien de son jumeau toujours abimé dans sa lecture :

- "Maman t'écoutes quand j'parle ? Il est PARTI je te dis."

Je réalise que ce cauchemar est bel et bien réel.

Je comprends que Trystan a fugué.

Cela fait longtemps que ça ne m'est plus arrivé : je sens tout mon corps, mon coeur et mon cerveau qui repassent dans cet espèce d'état second dans lequel j'ai passé une bonne partie de leur enfance, veillant à les maintenir en vie malgré leurs innombrables tentatives pour s'autodétruire.

Sans réfléchir, j'enfonce pratiquement la porte d'entrée en sens inverse, et me mets à courir dans l'impasse où se trouve notre maison, direction la route principale.

Je réalise subitement que je suis en petite culotte et en t-shirt, et que je n'ai pas enfilé de chaussures.

Il fait 38 ou 40 degrés dehors, la chaleur du bitume me brûle littéralement la plante des pieds. Je cours comme une dingue, essayant désespérément de retrouver la trace de mon fils.

Comme dans les films hollywoodiens de science-fiction, les rues sont absolument désertes. Il fait un soleil de plomb, il n'y a pas âme qui vive. Pas un vélo, pas une voiture, pas un camion, pas un piéton qui passe... Juste les oiseaux que l'on n'entend jamais d'habitude et qui chantent à tue tête.

C'est le vide sidéral, et la chaleur torride.

Je me retrouve alors devant un embranchement. J'applique la règle qui nous a déjà sauvés plus d'une fois par le passé : 90% du temps, les enfants marchent dos au soleil. Je tourne donc à droite. J'accélère encore et aperçois enfin un petit point qui bouge, tout au bout de la rue.

C'est lui.

Encore 50 mètres, et il va tomber à gauche sur un barrage de l'armée.

S'ils le repèrent, on est bons pour le commissariat et les ennuis administratifs apocalytiques, typiques de notre pays d'adoption.

Je ne crois pas avoir jamais couru aussi vite de toute mon existence, et rattrape donc mon fils en quelques dizaines de secondes.

Instinctivement, sans y penser, je sers son bras, pour l'arrêter. Curieusement, il ne m'a pas entendue arriver. Rapport aux pieds nus, sans doute, et ce malgré mon essoufflement de dragon asthmatique.

Il sursaute et se met à hurler :

- "MAMAN LÂCHE MOI ! Je retourne PAS à la maison t'as compris !?! LÂCHE MOI !!!"

J'entends quelques fenêtres qui s'ouvrent dans les immeubles au dessus de nous. Je me dis que la dernière chose qu'il nous manquait était effectivement de rameuter tout le quartier.

Debout sans bouger sur l'asphalte, la douleur sous mes pieds est désormais proprement insupportable.

- "Trystan, chéri, mon amour de ma vie, on ne peut pas rester ici, si l'armée nous trouve on va avoir de graves problèmes. En plus, tu vois, j'ai pas mis mes chaussures et j'ai vraiment très mal : est-ce qu'on peut rentrer à la maison et en parler là bas ?"

- " MAMAN ! J'en ai MARRE !"

- "Je sais chéri... Il faut tenir et faire preuve de patience, tout cela prendra fin un jour..."

- "NON ! T'AVAIS DIT PAREIL L'ANNÉE DERNIÈRE AUX PHILIPPINES ! TU DIS TOUT LE TEMPS ÇA, ET C'EST MÊME PAS VRAI !"

- "..."

- "MAMAN ?!

- "Oui mon amour..."

- "J'VAIS T'LE DEMANDER FRANCHEMENT... "

- "???"

- "EST-CE QUE J'AI TUÉ QUELQU'UN ?!"

-"?!?!?! ... Pourquoi tu dis un truc pareil ?! BIEN SÛR QUE NON !"

- "ALORS POURQUOI CHUI' EN PRISON !?!?!?"

- "..."

Je vous fais grâce des vingt minutes de négociation totalement lunaires au milieu de la route... Et des brulures au deuxième degré après lesquelles j'ai enfin réussi à ramener mon petit garçon de 9 ans jusqu'à la maison...

En passant le pas de la porte je remarque son sac à dos, que j'ouvre machinalement.

Il avait mis la crème solaire, l'anti-moustiques, sa brosse à dent et son dentifrice, un slip et un t-shirt propres, la boite de cookies, une gourde d'eau.

J'essaye de dédramatiser sa fugue en lui disant avec admiration :

- "Dis voir mon amour... La prochaine fois, comme on a dit, tu me préviendras avant de décider de partir... Mais je t'avoue que je suis impressionnée : tu avais drôlement bien organisé ton sac, dis-donc, bravo..."

- "Ouais... T'as vu, j'avais aussi pris la carte de visite de mon père... Avec son numéro de téléphone... Au cas où j'me serais perdu... Pour pouvoir appeler..."

- "..."

C'est à ce moment précis que son papa sort du bureau, où il avait passé la matinée entière à travailler en distantiel, casque sur les oreilles. Retirant ses oreillettes, l'air surpris, il me dit ingénument :

- "Bah ma chérie ?! Qu'est-ce qui se passe ?! Il est 13h30 et les enfants n'ont pas encore mangé ?"

- "..."

Quoi ?... C'est vous qui avez demandé que je vous raconte !




Le livre de Pom Ehrentrant est disponible sur Rencontre des Auteurs Francophones


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