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L'ÉCRIVAIN EST UN MARIONNETTISTE


Si la vie est un spectacle, l'écriture de fiction en est une déclinaison à l'infini. Rien n'est vrai, mais tout doit sembler crédible. Dans cet ersatz sublimé du réel, il y a des méchants et des gentils. Et des fins heureuses, ou à tout le moins édifiantes. L'écrivain est un marionnettiste. Il y a, comme dans les guignols d'enfants, des princes et des monstres, des cœurs vaillants, des cœurs de bois et des cœurs tendres. Pour que l'action soit crédible et le public conquis, l'écrivain devra choisir ses personnages, mais surtout les construire avec soin. Il y aura un héros ou un anti-héros qui sera le moteur de l'intrigue. On l'appelle le protagoniste. Face à lui, un antagoniste : un vilain qui peut être polymorphe. Ce sont eux les personnages principaux, ceux qui fondent l’intrigue et qui feront avancer l'action.

Ils sont yin et yang, le feu et l'eau, la lumière et les ténèbres et quand ils semblent enfin se rejoindre, comme le soleil et la lune de la chanson de Trenet, c'est pour mieux se repousser. Les deux éléments intrinsèques communs à ces personnages, c'est d'une part leur indispensable épaisseur - et d'autre part, l'obligatoire transformation de leur caractère par l'histoire. J'oserais même dire leur transfiguration. Quand on parle de protagoniste et d'antagoniste, dans l'imagerie populaire, il s'agit du flic et du voyou. De l'Archange et du Diable. Mais en réalité, le protagoniste ne doit pas nécessairement être dans le camp du "bien" et l'antagoniste ne doit pas être dans celui du "mal". C'est le choix du point de vue opéré par l'écrivain qui a déterminé qui sera le protagoniste : suis-je dans l'histoire de la rédemption du mauvais garçon - avatar du mythe du fils prodigue - ou dans celle de l'Archange déchu - combat éternel entre Saint-Michel et le Dragon. Enfin, il faut ajouter que l'histoire peut avoir plus d'un protagoniste et que l'antagoniste ne doit pas nécessairement avoir une forme humaine. Mais bons ou méchants, les personnages principaux doivent être attachants, ce qui signifie qu'ils doivent réunir au moins les caractéristiques suivantes : - être contradictoire : un personnage attachant a au moins deux caractéristiques en apparence peu compatibles. Il est, par exemple, follement amoureux et terriblement introverti. Cette contradiction va créer un conflit intérieur permanent qui fait avancer l'histoire. - être altérable : les héros ne sont pas taillés dans le marbre dont on fait les statues. Dès qu'un humain est en présence d'un autre humain, son comportement est altéré par cette présence, même silencieuse. Ce phénomène d'adaptation à l'altérité modifie le personnage principal. - être évolutif : au-delà, la dynamique de la rencontre va modifier non seulement le personnage principal, mais tous les personnages. Le dialogue au sens littéral ou symbolique les transforme tous. Le protagoniste et l'antagoniste seront radicalement transformés à la fin du récit. - s'enferrer dans de mauvais choix : l'être humain est têtu, quand quelque chose ne fonctionne pas, il insiste. On pourrait même dire qu'au plus c'est perdu d'avance, au plus il s'implique. Plus un amour est vain, plus l'attachement sera fort. D'ores et déjà, je vous invite à dresser la fiche d'identité de vos personnages : vous y noterez leurs traits de caractères et leurs caractéristiques physiques. Elle ne sera pas immuable, car, comme nous les humains, le personnage évolue en grandissant. Vous modifierez donc cette fiche chaque fois qu'il sera nécessaire. Vous viendrez y piocher, dans le cours du récit, les détails dont vous aurez besoin pour étayer l'action. Par exemple, si mon personnage est de petite taille, il aura besoin d'un tabouret pour atteindre l'armoire, il pourrait en tomber, et ainsi de suite. Je développerai davantage, dans les chroniques ultérieures, la construction de ces personnages principaux, ainsi que celle de leurs comparses aux noms qui fleurent déjà bon l'aventure : deutéragoniste, tritagoniste... Mais aussi derrière ces personnages principaux, d'autres personnages qui seront indispensables au bon déroulement du récit : des personnages de soutien, des personnages secondaires, des figurants. En attendant, fermez les yeux et rêvez. C'est un après-midi d'été d'où montent les rires et l'odeur de l'herbe coupée. Il y a un lac et une petite barque joyeuse qui tangue et vous entraîne, au milieu des battements d'ailes des cygnes qui font clapoter l'eau et de l'air doux que traversent les libellules, vers une toute petite île. Il y a un chalet en bois et au premier étage, des bancs de bois plein d'enfants rieurs. Le rideau du petit théâtre va bientôt se lever. Le spectacle va commencer. Il est temps de sélectionner vos personnages. Midas ou Maître Pathelin ? Vous choisissez. Le public attend. Vous serez le marionnettiste. C'est vous qui décidez. Vous êtes un écrivain.

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