Il est des matins où je me perds un peu entre mes envois de billets frais et réponses sucrées. J’ai l’impression d’être noyé dans un petit courrier de curé d’une campagne d’avant-guerre. C’est que j’ai deux cents âmes sur lesquelles je dois veiller !
Enfin il y en a une bonne dizaine qui peut-être comptent sur moi. C’est peu me direz-vous, mais c’est déjà beaucoup pour quelqu’un ne sachant pas très bien ce qu’il apporte au genre humain. Mes rêveries, douces cuisines, leur font du bien, c’est parfois ce que me disent ces paroissiens. Dois-je les croire? Je n’en sais rien.
Ainsi, chaque matin, je m’aventure avec deux braises et un briquet sur un sentier où plane une aube ensanglantée virant au gris glacé et argenté avec nuages allongés comme des squales dans un noroît narquois qui semble me défier disant: « Qui mieux que moi? » Et moi je n’ai que maigres osselets, un petit sac plein de mots raides et desséchés qu’il faut faire tremper pour qu’ils reprennent vie, l’épaisseur et le goût des choses préparées et avec lesquels je dois minutieusement lutter, trier sales cailloux pouvant péter les dents, chasser punaises et limaces, fourmis et doryphores, petit peuple agaçant vivant au creux de délicieuses moisissures dont il faut rafraîchir les vertus avec pleines et belles formules d’antan.
Le Verbe a beau prendre de l’âge, si tu le nettoies bien et que tu en prends soin, il a toujours le goût des vieilles choses sages mijotant dès l’aurore et dont le fumet embaume nos cuisines le Dimanche matin et couvre de buée le fenestron de nos noires souillardes. Ce n’est que ça que l’on travaille, ail et persil et champignons, un filet d’huile et bon chapon avec piquette digne d’un paysan devenant roi. Nourrir une âme c’est un travail de joyeux et consciencieux cuistot. Je vous embrasse tous et vous invite dès demain à mon prochain repas.
Alain Cadéo
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