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La main cruelle par Pierre J. Villard


L'auteur français qui vit en Espagne, nous propose un extrait de son nouveau roman, actuellement en grand chantier. Il ne sait pas à ce stade de l'écriture si ce petit bout de texte en fera partie mais Pierre Villard a bien l’impression que cette main cruelle viendra vous caresser les joues en 2023.

Bonne lecture !


" La main gantée enserre la grosse clef, tourne et pousse le battant puis le referme délicatement. Il fait noir là-dedans... mais c’est mieux finalement. Par précaution, les doigts s’empressent de déconnecter l’interrupteur. Rien ne sera dû au hasard.

La main essuie une goutte de sueur, puis se mue en poing fermé. Dans les poches, un arsenal capable de tuer plusieurs fois.

Les bras tanguent au rythme des pas accélérés. On perçoit au-dehors la voix de Tibère Maréchal qui vient de saluer André, le mécanicien : plus une seconde à perdre. Les mains se plaquent sur le mur du fond, juste sous la fenêtre, unique source de lumière. Des mains sages . Prêtes.

Quand Tibère ouvre la porte, les dix doigts se contractent. On aperçoit le vieil homme vers l’espace dégustation qui semble s’interroger. Il tient une bouteille, regarde vers le fond du chai, là où se trouvent les mains qui commencent à frémir. Il ne peut les voir, à contre jour.

Tibère sait où il va : il marche lentement, vise sans hésiter le troisième ou quatrième fût. Les mains se crispent sous les gants. Dans la poche, un fil à couper le beurre, de ceux qu’on trouvait autrefois à la campagne : les doigts s’agrippent alors à la poignée en bois, tendent le câble d’acier comme pour une répétition. Puis se dirigent dans l’ombre en direction du vieil homme. Tibère ne goûtera jamais au vin.

— Mais ?

Il lâche la bouteille quand les mains rejoignent son cou. Le rosé éclabousse ses chaussures. Pas le moindre cri. Sa bouche est ouverte en surprise maximale. Le fil cisaille la glotte, ronge les chairs vénérables. D’un geste brusque et sec, les mains ôtent la vie, repoussent enfin les restes du vieux tel un rebut encombrant.

Plus une seconde à perdre : les muscles des bras se contractent pendant la course, les doigts font mal. Pas question de déguerpir, il faut continuer la tâche.


Porte du chai, longue haie de buis,

potager, poulailler. En face, dans le garage, le bruit d’outils qui toquent une carrosserie, choquent contre le métal.

La main gauche flotte le long du

corps le temps de l’approche, se détend. Près de la remise, à quelques mètres du dos penché sur le moteur de la 403, elle plonge dans la poche, en sort le fil à couper le beurre. « Quand on pense qu’elle vient d’occire un petit vieux ! ». L’autre main, jusqu’alors posée sur la crosse de l’arme à feu, glisse hors de la poche droite et rejoint sa petite sœur pour une bonne prise de l’acier tendu. André Mangin donne son dernier tour de clef, serre le joint de la pompe à carburant. Il se redresse satisfait, se cambre, se frotte les reins. « Cette voiture finira bien par rouler... ».


— Allez, on va manger !


À la vitesse d’un bolide, le fil d’acier forme un grand huit. Les doigts agrippés aux manches tirent comme pour arracher la tête. Le cou tendu du mécano craque, dans un bruit méconnu, effrayant. Les yeux gonflent, les jambes flageolent. Enfin les membres s’agitent, en désordre, puis tout s’arrête : la vie n’est plus. Les mains ouvertes poussent le corps sur le moteur réparé.


Découvrez le roman de l'auteur

Illustrations JJ Vitiello


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