Il se moque de la quantité de jour à sa disposition, c’est la nuit qui l’intéresse.
Tous les matins
Tous les matins, c’est un nouveau soleil tout neuf qui se présente. Tous les matins – peu le savent – c’est un être chimiquement nouveau qui se réveille en nous. Car les cellules de notre corps se renouvellent à une vitesse incroyable ! Dès qu’on met un pas dehors, on attend de la vie quelque chose que l’on ne sait pas nommer et dont on ignore et la forme ou la durée. Mais on s’y attend. Et pourtant, à peine sorti le premier pied hors du lit que l’on retrouve tous les réflexes avec lesquels on s’était endormi, la veille. Enfouis dans notre mémoire, et indélébiles, ils nous accompagneront toute la journée et nous poursuivront, sans doute, toute la vie. Peut-on vraiment changer du jour au lendemain ?
Grosse question.
Et ce matin encore, la ville s’éveille aux premières lueurs du soleil. Qu’on le voit ou non, peu importe. Les matutinaux commencent leur besogne aux aurores. L’heure à laquelle rentrent se coucher les travailleurs de la nuit. Les rideaux sont levés. Les volets sont grand ouverts. Les vitrines achalandées s’exposent aux premiers passants. Le café chaud aux croissants est servi dans les bars, “ les boulangers font des bâtards, les ouvriers sont déprimés et les journaux sont imprimés ” chante notre cher Jacques Dutronc, Il est 5 heures, Paris s’éveille...
Quand, le soir
Quand, le soir, les rues sont désertes et que tous les magasins et les cafés sont fermés, les retardataires se sentent esseulés. Ceux qui ne sont pas prêts de rentrer pour une énième rencontre avec leur solitude éprouvent un sentiment d’exclusion. Comme si on leur en voulait. Comme si le monde entier les rejetait.
À Pâques, la rondeur sensuelle des œufs et la douceur du chocolat onctueux, moelleux et velouté, autorisent la proximité et les rapprochements conviviaux. Le jour du réveillon – la fin de l’année pour les uns, le début d’une ère nouvelle pour d’autres – on peut toujours faire la bringue, comme chacun, avec n’importe quel inconnu qui a bu de manière immodérée et se souhaiter la bonne année dans une atmosphère bon enfant.
Le premier mai, jour de la fête des travailleurs, on peut bien aborder quelque nostalgique, dont le présent est à l’imparfait, avec qui ressusciter les souvenirs du mouvement ouvrier, ses moments de gloire, ses espoirs et, hélas, les innombrables renoncements ou trahisons, un brin de muguet à la boutonnière “Santé, camarade”. On peut aussi évoquer la solidarité et la chaleur que nous procuraient les luttes syndicales avec son cortège de manifestations, à coup de banderoles géantes “ Ensembles jusqu’au bout ”, On battait le pavé. Les forces de l’ordre nous battaient. Personne n’était tout à fait sûr de rejoindre indemnes son foyer.
Le soir de Noël
Le soir de Noël, la coquille familiale se referme sur ses plus proches comme une huître. Personne ne veut de vous chez lui.
A la surface de sa solitude, il se maintient, en équilibre instable, réduit à lui-même pour ne pas s’y enfoncer. Car, en réalité, il aime bien les gens. Il apprécie la compagnie. Et sait que beaucoup peuvent encore l’intriguer et l’émerveiller. En marchant, il croisa un miroir grandeur nature à l’angle de la rue. Il s’arrêta un instant. Son reflet l’observa avec inquiétude, comme s’il lui reprochait quelque chose. On n’échappe pas au regard de l’autre. Fût-il soi-même.
Ce soir-là, la tramontane avait éliminé toute concurrence humaine, animale et végétale. Un air glacial avait pétrifié les branches des platanes et presque tout refroidi sur son passage. Il gelait à pierre fendre. La mine placide, une lune pleine et nue s’exhibait comme une voyeuse éhontée. Il la snoba. Puis, il remonta le col de son imperméable. Enroula son cache-nez d’un geste sûr et aérien, le regard lointain. Il entendait résonner l’écho de ses pas qui accompagnait la cadence de sa balade nocturne. Le tictac de ses vieilles semelles en fer le devançait et l’annonçait. Sans raison apparente, le noctambule se mit à presser la foulée comme s’il était en retard. Comme si quelqu’un l’attendait quelque part.
C’est dur d’être seul quand on n’est pas un solitaire.
Nasser © 2021
Quand on a que l’humour
A paraitre prochainement
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