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Le pays qui me ressemble



Cher journal, cher compagnon d’itinérance,


Je te confie ce soir, depuis un phare perdu au milieu de nulle part, ces quelques notes rapportées de mes voyages.

Il est des voyages qui laissent des marques indélébiles, décidant des contours d’une terre d’écriture et qui nous égarent sans bruit dans les malles jaunies des souvenirs. Heureusement.


 

Cher journal,


Ce soir, j’entrouvre la malle et t’écris depuis un fragment de terre abandonnée dans les bras de la mer.

Viens, suis-moi.

Ma main s'agrippe de nouveau à la branche d'une plume et retrace, à l'envi, sur les

parchemins oubliés du dit, un écrit qui s'enracine sous la mousse des voix, tel un caillou

qui crisse sous les pas de ce voyageur s’écrivant.


Viens, suis-moi.

Je t’emmène au pays des savanes habitées par les marabouts et l’harmattan.

Là-bas. En cette terre vierge que foule encore un gri-gri telle une procession brûlante.

Les danseurs primitifs aux joues revêtues de kaolin tournent inlassablement en une ronde lascive.

Vois ! Sous les dessous évasifs de leurs totems, une sève frétille au rythme du tam-tam.

Les entends-tu, cher compagnon d’itinérance ? Entends-tu la voix de ma terre évadée de la malle des réminiscences ? C’est la voix de mon Afrique dans toutes ses clameurs.

Et c’est à l’ombre de tes pages encore vierges d’écriture que je l’extirpe de son abri tel un talisman béni.

Au gré des mots qui ondulent mus par les répercussions des tambours, la voilà, entre tes lignes, qui se dresse : l’Afrique aux seins gorgés de soleils et de fétiches.


Écoute-la. Elle parle.

Elle dit les baobabs immortels et invaincus par la folie des hommes.

Elle dit les sols abreuvés de soleil et qui acclament une pluie qui se refuse à les entendre.

Elle dit les senteurs étourdissantes des goyaves qui attendent d’être croquées et le goût des papayes juteuses qui abreuvent les palais.


Écoute. Elle parle encore.

Elle dit la résilience des femmes qui s’accrochent à la vie telles des lianes entortillées que nul n’a pu défaire. Que nul ne pourra défaire.

Elle dit le rire des enfants qui s’élancent revêtus de leur nudité telles des sauterelles insouciantes.


 

Cher compagnon d’itinérance,


Retiens sa voix. Retiens entre tes pages la voix de mon Afrique.

Elle nous entraine et nous guide sur les sentiers de terre rouge pour nos mener au bout du monde. Là où s’élèvent les rimes diamantées du Chant Un, au milieu des manguiers en fleurs.

Ce Chant Un, c’est le refrain percutant et dérouté de l’enfance, porté par la voix de l’Afrique qui s’élève, semant ici et là des invitations à l’errance.


Écoute sa voix.

Elle essaime et hèle sans relâche, rebelle, le voyageur égaré dans les termitières de l’Histoire.

Et qui, au rythme lascif de ses mots, suit la cadence née des tambours qui habitent la première case.

La case du griot.

Le griot. Le but du voyage. L’essence du voyage. La destination de tout voyage. De tous mes voyages. Là où je t’emmène ce soir, loin des chemins tous tracés, lorsque la vie se résigne à s’étirer par défaut.

La case du griot. Nous y parvenons, voyageurs sans bagages. Nul besoin d’encombrements futiles.

Face à la case, le silence s’impose. Agréable contrainte.

Le silence. Une nécessité en ces lieux. Car au seuil, tous les mots antérieurs se doivent d’être noyés.

D’autres mots nous y attendent. Les mots de la mémoire d’antan qui, tels les éléphants, se moquent des boulevards du Temps.

Nimbés d’un chant sauvage, les mots du griot nous attendent. Ils ont conservé la saveur fruitée de la première tétée.


Entrons. Prenons place en silence.


Ce soir, cher journal, nous sommes tous deux conviés à boire le nectar acidulé de l’enfance qui tourbillonne.

Abreuvés à l’envi, nous accrocherons aux écorces du silence, le souvenir intact des premiers contes, des premières légendes. Et des magies ancestrales.

Alors nous entamerons, au terme du voyage, une danse endiablée, victoire sur le temps balbutiant. Et, au son des accords joués par les mélopées d’antan, nous emporterons comme seul bagage, le refrain réinventé du Dit.



 


Cher journal, cher compagnon de la mémoire


Tu trouveras, aux tréfonds des tiroirs de tes lignes, cette invitation au voyage sans cesse réitérée.

Un nouveau départ vers les contrées africaines où germe l’écrit.

À l'aurore d'un univers en genèse, mes voies s'ouvriront pour toi. Afin que tu y

façonnes à ton gré, ce cheminement qui est mien : unique et tenant en rien, de ceux qui

t'y ont précédé, sur cette route de déroutés qu'est la route du scribe.


Suis cette route que tu as choisi de suivre en compagnie de ma plume, cette voie royale où renaît sans cesse la voix, comme un phénix d'encre noire et de lumière qui crépite en silence et chuchote en sifflotant, la beauté du chemin ardu.


Je te laisse savourer chaque miette de ces instants du départ et t’invite à en parfumer à loisir le présent, afin que perdure à jamais le silence.

Puisses-tu entendre, venue des profondeurs des forêts sacrées, cette petite voix de l’enfant qui chuchote tout bas :

Mon enfant, ma sœur, songe à la douceur

D’aller là-bas vivre ensemble !


C’est la voix de mon pays. La voix de ma terre. Le pays natal de mon écriture.

Là-bas.

Là où

Tout y parlerait

À l’âme en secret

Sa douce langue natale.



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