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LE VIRUS EST DANS LA POMME #2

Vous avez adoré - la semaine dernière - la première partie des petites chroniques new-yorkaises d’Emmanuel Normant…Voici la suite !



Hier, juste en face, perché sur un water tank (les petites « cabanes en bois » icones des skylines de New York) mon Luigi contait fleurette à une sienne amie. Enfin, fleurette, visiblement il avait fait le plus gros du travail d’approche, il avait les choses bien en main. Elle ? Je ne parlerais pas d’orgasme. Même si mes connaissances en matière de plaisir sexuel des femelles faucons sont assez lacunaires, ça ressemblait quand même sacrément à un viol. Disons les choses.


· Chez nous, à 19h tapantes (les américains mangent à 18h) tous les voisins tapent sur des casseroles, des tambours, leurs mains, leurs femmes aussi - les violences conjugales ont bondi à NYC - et remercient, par le fait, les soignants en première ligne. Ça ne leur donne pas plus de masques ou de respirateurs, mais ça crée un petit air de fête, impromptu, sympathique.


· Jürgen Habermas, qui n’est pas la moitié d’une crotte, a dit « dans cette crise, il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir ». Et le type d’ajouter « Aujourd’hui, tous les citoyens apprennent comment leurs gouvernements doivent prendre des décisions dans la nette conscience des limites du savoir des virologues qui les conseillent ». J’y comprends rien mais je suis d’accord.


· Quelques rues au nord de chez moi, à Harlem, le dimanche matin, en dehors des vacances et des hordes de touristes, tu peux entrer dans une église, et écouter leurs chants – je ne suis pas croyant – d’une intensité déconcertante. Aretha, juste pour le plaisir https://www.youtube.com/watch?v=3WBrI6gB874


· Après la messe à la télé, séance théâtre : L’Avare à la comédie Française, Denis Podalydès fait des étincelles en Harpagon. C’est obligatoire, y’a interro surprise demain.


· Quand je sors avec mon masque, j’embue mes lunettes. Vaut-il mieux partir des bronches ou écrasé par une voiture ? La vie est une série de choix difficiles.


· Ca va trop bien dans ta vie ? tu chantonnes le matin sous ta douche ? T’as besoin d’un bon Joyce Carol Oates, Au Commencement Etait La Vie, par exemple.




· Un temps de chien, du vent, de la pluie. Les sanglots longs des violons du printemps blessent mon cœur d’une langueur monotone. Verlaine avait raison, ça marche beaucoup mieux avec automne.


· C’est lundi, c’est pandémie. Mais c’est quand qu’on sort ? « Il faut identifier et isoler les malades et les porteurs du virus à l’aide d’équipes mobiles sur le terrain, de courbes épidémiques et de l’outil cartographique. » Dit comme ça, ça fait un peu peur.


· Dans l’état de New York il y a eu 17 patients de moins dans les ICU (réanimation). Evidemment, 17 c’est pas beaucoup, mais Cuomo, toujours positif le gars, rappelait à juste titre que la semaine dernière, il y avait 300 patients en plus tous les jours. Andy est content. C’est déjà ça.


· Je m’en doutais : la semaine dernière, on m’avait plutôt laissé tranquille, je télétravaillais benoitement. Mais voilà que de toute part on s’en prend au bon docteur Normant. Je suis débordé, plus le temps de déconner. Comme dit Marielle (Hélène Vincent) dans “La vie est un long fleuve tranquille”, va falloir jouer serré.



· Météo stable, plutôt chiante. Il fait encore froid à New York, un petit 10C, c’est pas comme ça que notre ami SARS va déguerpir. Luigi, quant à lui, est parti. Il a eu sans doute peur de l’aigle qui plane au-dessus de nos têtes. Je-te-jure, un truc énorme, un oiseau de proie (moi ?). Je ne sors plus que prudemment sur ma terrasse.


· Tout le monde (au sens littéral du terme) ne parle plus que de déconfinement, le 4 mai (Allemagne), le 11 mai (France) le 15 mai (New York). Tout le monde parle du quand, mais pas trop du comment. Moi je m’en fous, je peux aller au travail en vélo. Je serai exténué avant même de commencer ma journée, mais j’aurai amené à mes poumons de citadin le bon air du large (je pédale sur le chemin de halage de la Hudson).


· La bourse de NYC est très contente, ils sautent comme des cabris : on va rouvrir, on va rouvrir, crient-ils. Ces gens sont confondants de court-termisme. Mais, ici, quand le Dow Jones va, tout va.


· Obama a « endorsed » Biden. L’ancien président et l’ancien vice-président. Obama est toujours très populaire, peut être que ça va aider.


· Le nombre de SARS positifs aux USA est de 632,548 cases, 31,071 décès. Ça représente 27,158 cas et 6,489 morts supplémentaires comparés à hier. Note, 30000 personnes meurent chaque année par une arme à feu. Le SARS est plus efficace qu’un AK47. Quand on lit les points #2, #3 et #5, on comprend pas bien. C’est parce qu’on est des ânes.


· Il faut que je soigne le monde de ce virus, que je trouve des traitements pour les cancéreux, oh oh les gars, une minute, oui ?


· Christophe (le chanteur) est mort. Il fait partie de ces chanteurs que je trouvais totalement out, déjà en 1980. Et puis j’ai entendu une version des mots bleus par Bashung, et j’ai trouvé ça pas mal. Hm ? Ouais, Bashung, évidemment.


· C’est un blog quotidien (a diary) qui n’est plus trop quotidien. Ça m’a fait du bien de te parler. Allez, c’est vendredi (et j’voudrais bien qu’on aime, comme disait Alain), je t’embrasse.



· Aimez-vous Brahms ? Ai-je demandé à mon rossignol (on se vouvoie). J’ai mis mon ordinateur dehors, les danses hongroises. Il a tournicoté quelques temps, et puis, non, pas Brahms. Je crois que mon rossignol est un punk. Demain j’essaierai Nirvana. Ou peut-être, comme me le suggère gentiment ma moitié (l’intelligente), revenir aux miettes de pains. So dull.


· Dernière excuse à la mode « Je peux pas, j’ai corona ». Le guignol qui débite ces âneries : Gui Home. Un belge, évidemment. Il me fait rire. Ca n’a pas de prix.


· Les américains (surtout les républicains) ne mettent pas la vie humaine (même la leur) tout en haut de la liste des priorités, des valeurs. Peine de mort, port d’arme, système de santé lamentable, guerres post-coloniales, guerres anti-communistes, guerres néo-libérales débiles, vente de tabac dans les années 70, tout un tas d’idéologies foireuses. On peut proposer une explication simpliste : ce sont des cons. Ça a le mérite d’être clair. Ça fait 20 ans que je les côtoie, et je ne crois pas qu’ils soient beaucoup plus cons que les français. Je chercherais plutôt du côté de leur histoire violente (conquête de l’ouest), de leur climat difficile (tornade ouragans, hiver polaire, blizzard, moiteur) et de cette crainte viscérale de Washington (leur Bruxelles), résumé par Reagan : l’état c’est le mal.


· L’anagramme de chauve-souris ? souche à virus. Ahah.


· Il se pourrait que 2 populations émergent bientôt, les séropositifs, qui peuvent aller et venir, et les séronégatifs, qui ne peuvent pas. Il sera alors tentant pour des gens en bonne santé, jeune, de se faire infecter (déconfinement total) pour retrouver un job. Il parait que Cuba en son temps avait interné les HIV séropositifs. Ces camps étaient, parait-il, vraiment bien : à manger, des soins, la culture. Tellement que certains s’étaient infectés pour y aller, et certains en sont morts. Dingue.


· Si un vaccin est trouvé ça pourrait remettre les scientifiques, les experts, dans les bonnes grâces des gens qui pensent qu’ils – les vaccins, pas les experts - sont responsables de l’autisme (Trump, il a encore peu de temps). Ça pourrait aider la cause d’autres experts, comme les climatologues, et faire reculer un peu l’obscurantisme ambiant. Le ciel resterait plus bleu, l’air plus pur. Hm ? D’la marocaine. C’est la meilleure.



· Aujourd’hui il fait tiédasse. Le ciel n’a rien à dire, alors il se tait. Mais, c’est cocasse, il a neigé à Boston. Bien fait pour eux. Mes piafs, par contre, commencent à me gonfler pas mal. Je suis un citadin, je veux bien écouter un cuicui dans un parc, mais deux minutes. Ou sont mes sirènes hurlantes à 2am ? mes klaxons et le ronron de la ville ? Et ces gens de toutes les couleurs sur mon trottoir ? Le silence de la ville, c’est pas pour moi. Moi je suis un enfant de l’asphalte.


· Dis-moi ce que tu lis je te dirais qui tu es. Puisqu’on est confiné, autant attaquer du lourd. Dans la catégorie le K2 par la face nord, j’ai Ulysse de James Joyce, la pléiade de Gogol, Sous le volcan de Malcom Lowry. J’ai aussi par la face sud, Belle du Seigneur, les misérables (jamais lu), Serge, de Yasmina Reza.


· Les visas et les cartes vertes ne sont plus accordés par le gouvernement américain. Nanan, pas que pour les bougnoules, pour tout le monde. Bon, enfin, faut voir.


· Les patients covid obèses de moins de 60 ans ont 7 fois plus de « chance » d’avoir besoin de respirateur et de soins intensifs. Aaah bon, tu pouvais pas dire tout de suite que ceux qui meurent du covid ce sont les vieux et les pauvres ? Quand Wall street saura ça, ça va être la fête.


· Les chiffres sont plutôt disturbants (du verbe disturber, qui ne veut rien dire en français, à moins qu’en québécois, peut-être). Chacun y va de sa comparaison, la plus grave grippe récente en France, 14.000, Hiroshima 140.000, la grande peste noire, la moitié de l’Europe. Et 100.000 morts, docteur c’est grave ? 600.000 français meurent chaque année, 20.000 morts du covid, je divise pour régner, et je ne retiens rien, ça fait 3%. Bon. Et alors ?


· Alors, c’est beaucoup, c’est pas beaucoup, moi je sais pu. Et finalement ça arrange tout le monde, il y en a pour les « c’est une catastrophe, on ferme tout » et les « c’est une bonne grippe, vamos a la playa ».


· Le problème de la buée sur les lunettes est un problème mondial, universel. Je savais pas.



· Hier je suis allé voir tous mes petits amis de la forêt. Je suis allé à North Wood, le petit bois derrière chez moi. North Wood ? C’est un petit bois tout bien caché dans Central Park. Ils étaient tous là, les écureuils, les pies, des trucs avec des ailes, des poils, des écailles. Et tu crois que je vais te dire ou c’est North Wood ? ahah, tu te goures.


· Ecoute ta mère ! Allemagne, Taiwan, Islande, Nouvelle Zélande, Danemark, Norvège, Finlande ont en commun d’avoir des cheffes d’états (avec deux F et deux chromosomes X) et de s’en sortir en général plutôt mieux que les autres.


· Un grand moment de solitude pour une responsable de santé publique à Washington, obligée d’écouter le fou proposer d’inonder ses poumons à la Javel, pour éradiquer le virus (je-te-jure-que-c’est-vrai). Si on avait montré cette vidéo il y a 5 ans à n’importe quel républicain, il aurait haussé les épaules (an hoax). Si on lui avait demandé ce qu’il ferait si c’était vrai, il aurait répondu que jamais le GOP n’élirait un dingue pareil. C’est pas y’a très longtemps, 5 ans.


· Naomi Klein a appelé 'the shock doctrine' l’exploitation de désastres pour promouvoir, pousser, des lois et agendas néolibéraux. Elle a avancé cette idée au moment de la crise de 2008.


· Toutes les piscines new-yorkaises seront fermées cet été. A pu d’sous. Evidemment, les piscines publiques, pleines de bêtes et d’insectes, les mecs de wall street, je crois pas qu’y z’y aillent très souvent. Note.


· Ca sent le roussi pour la chloroquine : « Le nombre des effets indésirables graves cardiaques a quasiment doublé depuis le 9 avril, où il s’élevait à 54 cas. La plupart des déclarations (83 %) concernent des patients traités par hydroxychloroquine (HCQ) ou chloroquine ». Trump s’en fout, il tweetera demain qu’il avait toujours senti que c’était un truc dangereux. C’est ça qu’est bien, quand on se libère des faits.



· Ce matin, deux patrouilles de six fighter jets F16 ont survolé Manhattan dans un bruit de tonnerre, à deux doigts de ma terrasse, mes vitres en tremblent encore. On voyait presque les pilotes. Alors, Liugi, on fait moins son fier. Ils sont passés pour dire merci aux soignants. Peut-être pour impressionner le virus, sait-on jamais avec mes amis américains.


· L’élection américaine se jouera entre un bon grand père et un petit Mussolini orange, on dirait les deux pépés du Muppet Show.


· “Perhaps most significantly, Mr. Trump’s single best advantage as an incumbent — his access to the bully pulpit — has effectively become a platform for self-sabotage”. Phrase typique d’un papier du New York times, une de ces phrases “feel good” qu’ils distribuent pour calmer le lecteur confiné (et totally freaked out).


· Si la campagne est à propos de Trump, il perdra sans doute. Si la question tourne autour de Biden et de l’économie qui (irait) mieux il a une chance. Mais Trump ne sait parler que de lui.


· Côte d’Ivoire : Elle espère seulement que son mari puisse rapidement retourner au travail et que le couvre-feu soit levé car sinon, dit-elle, « on mourra de faim ou sous les coups ».


· - Vous nous avez donc menti sur l’utilité des masques !

- Pas du tout. Ce qu’on a pas ne sert à rien. Jamais.

Les Indegivrables (LeMonde).


· Demain, c’est Samedi et il fait beau. je prends mon vélo, enfin mon Citibike et je vais à Time Square, je serai tout seul tout seul sur la grande place, pour la première et dernière fois de ma vie. Je t’envoie des photos.


· A propos de vélo un mien collègue a décidé de parcourir, en vélo, toutes les rues de Manhattan. 500 miles. 800 bornes, Paris-Marseille. Ah nan, moi je vais à Time Square avec Paulette, et les bouquets de rainettes, mais pas plus loin.



· Le matin, quand le soleil se lève, les oiseaux font un potin incroyable. On se croirait à la campagne. C’est insupportable !


· Tu mets un masque ? T’es un hippie, un socialiste, sous l’emprise du gouvernement et de ses sbires qui œuvrent dans l’ombre. Tu veux ré-ouvrir ton restaurant ? tu es un réactionnaire cupide, fake news addict, prêt à sacrifier mamie pour un profit immédiat. La polarisation de la vie américaine n’a jamais été aussi grande.


· Ils ont fermé à la circulation West End avenue, c’est ma rue. C’est pour que les gens puissent déambuler sans se cracher le virus à la gueule, c’est mignon, ça fait jour de marché à Changé-les-Laval. Y’en a un qui a sorti une piscine gonflable pour faire barboter son chien, au milieu de la rue. Après, ça s’est gâté. Y’a un autre clebs qui a voulu jouer ou quelque chose, la piscine, après, elle était beaucoup moins gonflée. On a eu aussi le concert de banjos improvisé pour un anniversaire. C’était pas Carnegie Hall, mais c’était très bien. Mieux, peut-être.


· Cuomo, notre bon gouverneur, nous a dit que les plages seraient ouvertes pour le Memorial day (25th May). Alors, tout le monde, mais cooomment ? Mais c’est très dangereux. Cuomo, y s’est pas démonté : ça fait deux cents ans qu’on se baigne là, c’est truffé de requins (les dents de la mer, c’est là), c’est pas un virus qui va nous faire chier. Nan, en fait il a dit : le New Jersey et le Connecticut ouvrent, alors si on ferme, les new-yorkais vont se précipiter sur les plages des autres, et y mourir par baquets. C’est un argument.


· Question typique du confiné moyen : Qu’y avait-il avant le big bang ? Réponse intelligente d’un mec qui touche sa bille sur youtube : Rien. Mais il explique : chercher à comprendre ce qu’il y a avant le big bang, c’est comme poser la question à un explorateur qui est arrivé au pôle nord : Hé, y’a quoi au nord du Pôle Nord ?


· Ça fait longtemps que je ne dégoise plus. Ouais, peut-être. Mais tu te rends pas compte : ça prend un temps fou de sauver le monde.


· Ma moitié (l’intelligente) s’est mise à Ulysses de James Joyce. Ça fait comme l’herbe, mais en plus fort.




· L’Amérique est violente, la police américaine est brutale. La police américaine qui interpelle des citoyens noirs, est criminelle, hors-la-loi. Le policier est accusé d’homicide sans intention de donner la mort (3rd degree). Un homme noir est mort dans la rue, une agonie, 8 min live. Une répétition de ce qu’il s’est passé il y a 6 ans. Je vais m’acheter un masque « I can’t breathe ».


· Luigi s’est carrément barré. A la place j’ai Roméo et Juliette, deux tourterelles qui se rourourou, se flaflapflap, et se tripotent, se cherchent, se trouvent, ohohoh, les gars, y’a des maisons pour ça.


· A la maison j’ai deux palmes de Ikea, 10$, des trucs qui d’habitude meurt avant d’arriver chez toi. Mais nous les avons poupoutées, à l’heure du whisky on leur met du jus d’orange, on leur parle, je crois qu’elles sont un peu amoureuses de moi, elles préfèrent nettement quand c’est moi qui leur donne à boire. On en a sorti une sur la terrasse, au seizième. Je sais pas si c’est le vent du large, le sel, les mouettes, le soleil, elle a décoloré, elle est toute pale, on se croirait dans un ephad.


· Ici on déconfine en quatre temps. Stage 1, dimanche 8 juin, j’ai rin compris, stage 2, dans 15 jours, les coiffeurs, stage 3, je sais pu, stage 4 : aaah les bars, restos, musée, la ville.


· Stage 5 : Curfew – couvre-feu. Le premier à New York depuis les émeutes après la mort de Martin Luther King, en 1968. Beaucoup de manifs sans violences ici, et puis aussi, quelques-unes avec des dégâts. Même logique que les gilets jaunes, soit on défile gentiment, et rien ne se passe, soit on s’énerve, et peut être, en sortira-t-il quelque chose. Quand le monstre orange sera parti.

Les romans d'Emmanuel Normant sont disponibles aux usa :

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