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Martin Luther King, Albert Camus : le même refus de l’extrémisme

Dernière mise à jour : 6 août 2023

Dans quelques jours, cela fera soixante ans que Martin Luther King a délivré son célèbre discours, devant les colonnes du Lincoln Memorial à Washington.


Tout a changé aux États-Unis, en six décennies. Quand on songe qu’à l’époque, les hommes et les femmes qui s’étaient rassemblés sur le Mall avaient peur… Certains avaient pris des bus depuis le Tennessee, le Mississipi, l'Alabama, sans savoir s'ils pourraient atteindre Washington. C'est la vérité, ils n'étaient même pas sûr d'arriver vivants au bout du voyage. Tous les organisateurs avaient reçu des menaces de mort, et il y avait des hommes prêts à couper les micros si les discours devenaient un peu trop critiques pour l'administration Kennedy… personne ne peut le nier, les temps ont changé.


Et il y a plus. En 1963, aucune femme n'avait pu s'exprimer sur la tribune… eh oui, on les avait écartées, même celles qui étaient prévues. La moitié de l'Amérique avait été priée de ne pas se mêler des affaires des hommes. Gloria Richardson était censée parler, mais son micro lui a été retiré. Elle a pu dire "Hello", et puis c'est tout, on l'a reconduite à son hôtel avec Lena Horne et Rosa Parks. Elles ont entendu le discours de Martin Luther King depuis un taxi… Rosa Parks, vous vous rendez compte ? Un sacré chemin a été parcouru, c'est évident.

Tout a changé, mais on pourrait aussi dire que rien n’a changé. La brutalité policière envers les Noirs – la même que dénonçait MLK dans son discours – est toujours là, et périodiquement elle jette dans la rue des millions de personnes qui exigent une société différente, une société où les hommes noirs n'auront plus peur de se faire descendre par un flic qui confondrait un téléphone avec un flingue. George Floyd, Freddie Gray, Michael Brown, Eric Garner, Walter Scott, Sandra Bland, Philando Castille, Botham Jean, Atatiana Jefferson… la liste des bavures policières est inépuisable, et elle continue de s’allonger.

Ce qui frappe dans le discours de 1963, c’est l’appel à l’unité, au rassemblement ; le rêve de MLK, c’est un monde où les enfants blancs et noirs se donnent la main, un monde où les descendants d’esclaves et de propriétaires d’esclaves seront frères.

Aujourd’hui, il est difficile d’entendre de tels appels à la fraternité, dans la cacophonie provenant d’un côté de ceux qui veulent une Amérique immuable, blanche si possible, et de l’autre de ceux qui veulent réécrire l’histoire – et me contesteraient peut-être le droit à la parole sur ces sujets, parce que je suis blanc. Ils sont peut-être des minorités, à droite comme à gauche, mais ils font un bruit assourdissant, et ils entraînent la société américaine dans des directions contraires. En Floride les manuels scolaires des écoles primaires mentionnent dorénavant certains « bienfaits » de l’esclavage, et en Californie on retire To Kill a Mockingbird et The adventures of Huckleberry Finn des bibliothèques, parce qu’ils contiennent le « mot en N ». Deux extrémismes, deux refus catégoriques de dialogue.

Il y a un second anniversaire que l’on se prépare à célébrer sur ce réseau : les cent dix ans de la naissance d’Albert Camus. Son appel à la trêve civile à Alger en 1956, prononcé à un océan et quelques années de distance, porte les mêmes paroles d’espoir et d’humanisme que le discours de MLK à Washington : « Ces hommes doivent vivre ensemble, à ce carrefour de routes et de races où l'histoire les a placés. Ils le peuvent, à la seule condition de faire quelques pas les uns au-devant des autres, dans une confrontation libre ». Quelle meilleure boussole dans cette Amérique déchirée que sa vision fraternelle des peuples, son refus de choisir entre deux maux, entre deux violences ?


Bien sûr, à choisir on préfère encore le wokisme au suprémacisme blanc, mais il n’en reste pas moins qu’ils sont les deux faces de la même médaille : le second porte un racisme ancestral, haineux, le premier recrée son propre racisme dans le sillage de son combat contre le racisme.

On m’a appris – notamment dans l’université où j’enseigne en Virginie – mon privilège Blanc, et je suis convaincu de sa réalité face à un policier ou à la justice. Mais l’hystérie autour de la race a aussi un effet pervers : celui d’éloigner les communautés. Une fois qu'on coche une case sur un formulaire administratif, tous ceux qui ne cochent pas la même deviennent les autres, ceux qui n'ont peut-être pas les mêmes droits, les mêmes privilèges, ceux qu'il va falloir affronter. Et pour quelle raison… pour une couleur de peau, vraiment ? Parmi tous les morceaux qui façonnent notre identité à tous, il faudrait ne retenir que la couleur de peau pour cocher cette case ? Pourquoi pas la couleur des cheveux, tant qu'on y est ?


Il ne s‘agit pas d’ignorer ou de gommer nos différences, comme on peut le reprocher à l’universalisme français, mais au contraire de les valoriser, de les aimer. « Je ne crois qu'aux différences, non à l'uniformité », dit Camus dans son appel à la trêve civile. « Parce que les premières sont les racines sans lesquelles l'arbre de liberté, la sève de la création et de la civilisation, se dessèchent. ». Non, il ne s‘agit pas de les gommer, mais de se reconnaître dans le visage de l’autre. Un peu de fraternité ferait du bien à l’Amérique actuelle. Le discours de Martin Luther King, en 1963, en était empreint. Qu’est devenue cette vision d’un peuple uni, Noirs et Blancs mélangés, en l’espace de soixante ans ? Elle était encore présente dans certains discours de Barak Obama, mais depuis la fin de sa présidence, je ne la vois plus.




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