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"Nous nous embrassâmes". Ou du bon usage du bisou et du passé simple.

C'était la fête nationale. La chaleur de juillet nous poussait aux rires et au champagne. Dans le jardin consulaire, les masques étaient tombés. Et nous nous embrassâmes.

Non, je ne suis pas Élisabeth CACOUAULT DE LA MIMARDIÈRE, qui dans ses "Lettres de deux jeunes dames de qualité", ouvrage appelé aussi le Triomphe de la raison, - en lisant ce titre, j'ai pensé qu'on étale toujours ce dont on craint de manquer - embrasse sa rivale au passé simple, baiser annonciateur d'un futur qui le sera d'autant moins. Et puis, fichtre, nous sommes au XXIe siècle !


Ce que j'exprime, en utilisant le passé simple, c'est le caractère soudain de ces baisers.


On enseigne que le passé simple s'utilise pour une action, brève et terminée, inscrite dans une durée déterminée. On ajoute que, contrairement au passé composé, cette action n'aurait pas de lien dans le présent.


Ainsi, si j'ai joué à la loterie, il se peut que je gagne aujourd'hui. En tout cas, jusqu'au tirage, je conserverai précieusement mon ticket. Au contraire, si je vous dis " je jouai", il y forcément "puis je perdis" ou "puis je gagnai" qui est sous-entendu. En tout cas, c'est une affaire classée.


Je vous invite à tirer deux enseignements de cet exemple : le premier et le plus évident, c'est que le passé simple ne l'est pas. Il est difficile à manier, écorche parfois l'oreille, il sent la naphtaline et les vieilles dentelles.

Le second, c'est que c'est un tort de l'utiliser pour des actions dont les effets sont présents, puisqu'il est réservé à l'action ponctuelle.


Trop souvent, je lis des bluettes dont l'auteur - parce qu'il a lu les classiques et qu'il se pique de style. - utilise le passé simple à tort et à travers. On remarque d'ailleurs que cet usage est, chez les auteurs contemporains, limité frileusement à la troisième personne du singulier, parce que, hormis à la troisième personne du singulier, le passé simple frise le borborygme.


Amusons-nous. Même si vous pûtes comprendre, puisque nous fûmes éduqués par les meilleurs maîtres et que c'est à bon droit que nous usâmes du passé simple, vous bûtes le calice jusqu'à la lie devant tant de confusion, mais, magnanime que vous fûtes, vous nous pardonnâtes de vous avoir ainsi égaré.


Convaincu ?


Revenons donc au bon, et seul, usage du passé simple au XXIe siècle : le passé simple s'utilise quand il y a un "soudain" implicite.

Il tomba. Sous-entendu, soudain, il tomba.

Il se cassa. Après, c'est trop tard, le vase est cassé... Voilà, j'ai vu, vous avez compris : vous levâtes la tête vers moi, les yeux plein de reconnaissance, et vous jurâtes d'excommunier le passé simple de vos écrits.


Alors, sous le soleil de juillet, le champagne à la main et le rose aux joues, quand certains me claquaient la bise, me volaient des baisers ou me lançaient des bisous, je vous dis qu'il se jeta dans mes bras, et - parce que depuis plus d'un an nous ne l'avions pas fait et que peut-être jamais nous ne le referions -, nous nous embrassâmes.


Parce que ce fut SOUDAIN, inattendu et sans lendemain : au passé simple.



Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones


Retrouvez son interview :


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