Pourquoi me pencher sur une définition du roman noir ?
Parce que le roman noir a évolué depuis les années 20 et qu’à l’origine (au XVIIIe siècle) cette expression désignait un roman d’horreur ou un roman gothique ! Noir de chez noir ça se dit pour un café, mais peut-être pas pour un roman…
Définition : une piste intéressante
Concernant le roman noir, son lecteur s’attend à une intrigue fondée sur une transgression criminelle qui remet en cause l’ordre social. Or, ces attentes sont souvent déjouées – ou masquées – à cause de l’hétérogénéité qui s’y manifeste : le roman est, avant tout, hétérogène, et le sens global doit en être recomposé, parfois à la toute fin du roman seulement, pour que le lecteur identifie enfin « son » genre. Anissa Belhadjin, Le roman noir, le discontinu et la lecture noire (presses Universitaires de Rennes)
Origine du roman noir tel qu’on le connaît aujourd’hui
Américaine et il me faut vous reparler du Pulp (Le pulp histoire et renaissance d’une littérature en technicolor), cette littérature populaire fréquentant tous les genres, imprimée sur papier fait avec de la pulpe de bois, moins cher. Littérature dans laquelle de nombreux auteurs y ont fait leurs débuts.
Les points importants à retenir : transgression criminelle, suspense, enquêtes mais pas toujours au centre, détective, États-Unis, littérature populaire.
Le roman noir est d’abord un roman social
Un roman de la contestation de l’injustice sociale qui sévit aux États-Unis au début du XXe siècle.
· Situation économique
· rapports sociaux
· exploitation des hommes (immigrés, ouvriers, femmes)
· racisme
· intolérence
· antisemitisme
· révoltes
· prohibition
Assez similaire à la liste des maux de nos sociétés d’aujourd’hui !
Dashiell Hammett, auteur phare du genre, en a defini les codes et a crée le détective Hard-boiled (dur à cuire). Le choix d’un détective privé plutôt que d’un policier était un choix qui se justifiait. Dans les années 20, la police étant archi corrompue aux États-Unis, il était impossible d’y trouver un héros justicier.
Le roman noir s’inspire bien de la réalité sociale. De Dashiell Hammett à Raymond Chandler les auteurs de romans noirs travaillent comme scénaristes pour Hollywood. Double Indemnity, que Billy Wilder (un de mes réalisateurs préférés des années 40) a co-écrit avec Chandler et a réalisé, est reconnu par les spécialistes du genre comme le premier vrai film noir !
Le roman noir aujourd’hui ?
On ne sait plus très bien le définir : thriller, policier, polar, suspense…. tous ces genres se mélangent ou sont parfois mal utilisés.
Pourtant le roman noir ou néo noir possède ses écrivains en France. De Manchette à Didier Daminckx en passant par Virginie Despentes. Virginie Despentes aborde des thèmes avec un angle différent. Et c’est ce que j’aime dans ses romans. Elle est plus proche de la vie des gens normaux. Parce que, les criminels sont des gens de plus en plus ordinnaires et ils courent les rues. Violeurs, producteurs, policiens, disquaires, SDF.
Ce qui m’accable, c’est la bataille politique cruciale qu’on a perdue, celle des idées dans lesquelles j’ai grandi : l’accès aux soins, à l’éducation pour tous, la possibilité de mobilité sociale. Je vis à Barcelone la moitié du temps. Les gens y bossent quarante heures par semaine pour 650 € par mois. Pour arriver à 1 000 €, il leur faut un boulot supplémentaire. Ils vivent à quatre dans des appartements pour deux. En France, c’est un futur proche possible. Virginie Despentes, entretien Marie-Claire, 2017
Un constat similaire à celui de Virginie Despentes peut être fait sur la société américaine actuelle. À New York, et depuis plusieurs années, les gens ont jusqu’à 3 boulots pour payer les factures et boucler les fins de mois. Avec l’essor des commerces en ligne tels que ebay, Amazon et Uber, la tendance se développe aussi en France.
Le noir aujourd’hui, me semble-t-il, se présente dès que tu ouvres ta porte, ton ordi ou ton iphone. Pas besoin d’aller inventer un détective ou un flic qui en serait le seul révélateur.
Roman noir et réalité sociale
Tout comme Zola ou Balzac, le romancier du roman noir s’inspire de la réalité sociale de son époque. Didier Daeninckx l’exprime de façon très claire.
Sur les faits les plus quotidiens qui paraissent sans importance, il faut toujours trouver un angle qui permette de dire que cette histoire-là vaut la peine d’être racontée. Il faut rester deux ou trois heures, regarder et, d’un seul coup, vous voyez autrement les choses de la vie. Des choses très sensibles qui sont là mais qui sont de prime abord imperceptibles. Après, quand vous les avez perçues, vous pouvez les retransmettre.
« L’important, c’est le temps passé à observer. » DD
Votre œil, vous l’apprivoisez, l’état d’esprit vous l’apprivoisez aussi si vous restez là longtemps. Les photographes fonctionnent comme ça, Willy Ronis, par exemple, dit qu’il travaille « au fil du hasard », il attend que les fils du hasard tissent un cadre ; pour un écrivain, c’est pareil, il faut attendre que les choses se rencontrent de façon inattendue dans une sorte de collision surréaliste. Didier Daeninckx
La peur : clé unique du roman noir ?
Depuis les années 80, des auteurs ont réussi à façonner le roman noir en structure d’attente et à montrer qu’avec celle-ci on pouvait nourrir le suspense avec autre chose que de la peur. Le roman noir constitue une structure narrative d’une modernité folle ; elle mélange passé et présent, permet le dévoilement de la vérité. On vit dans une société qui n’arrête pas de tout effacer et qui est dans une sorte de présent permanent. Or, justement le roman noir dit que les traces sont d’une importance capitale et que c’est pour cela qu’on nous les cache. C’est ainsi très moderne et en même temps c’est une modernité qui lutte contre la modernité de pacotille qu’on nous impose… Didier Daeninckx
Du détective des années 20/40 au journaliste des années 60/80 au whislerblower (lanceur d’alerte) des années 2000, la figure du justicier évolue dans le roman noir en même temps que la société qu’elle dépeint. Le détective perdure. Il est devenu un stéreotype dans les Whodunnit? (roman concentré sur une enquête) que l’on voit de plus en plus dans les programmes TV et sur les plateformes qui produisent des séries. Toutefois, le roman noir reste renouvelable, il peut continuer d’évoluer tant que l’auteur observe la société dans laquelle il vit.
… La manière dont les groupes économiques et financiers prennent possession du monde de l’édition est inquiétante. Ils convoitent le stock d’histoires qu’il y a chez Gallimard ou ailleurs pour les programmes télé. Ce ne sont pas les livres qui les intéressent, mais les histoires à raconter pour l’amusement, ce qui fait que le paysage éditorial se resserre de plus en plus. Ce n’est pas la liberté d’écrire qui est en jeu dans cette pression télévisuelle, mais sans doute bientôt le coût d’accès à la publication. Didier Daeninckx
Road-movie pour un proscrit* est-ce un roman noir ?
Je me le suis demandé, parce que j’édite ce roman et que la question du genre est une question éditoriale. Mon nouveau roman n’est pas le roman d’un crime, mais d’une entreprise criminelle sur fond politique et social. L’histoire mélange le passé (les années 70) à la lueur LED du présent pour éclairer un futur qui n’est pas forcément souhaitable. Il suit des traces, celles dont parle Didier Daeninckx.
*Road-movie pour un proscrit, roman, 287 pages, sortie en numérique et broché le 8 janvier 2021
Merci, interessant. Je savais pas que "pulp" fiction, ca vient de la pulpe de bois. Et que la pulpe de bois, c'est pas cher.
C'est dingue, la vie