L’harmonie, voilà le seul état dont nous devrions nous préoccuper ! Cet équilibre un peu magique où tout semble en place, où nos cœurs sont en paix. Celui que connaissent les animaux quand tout danger est écarté.
Chez moi, cette manière d’être à la vie est assez rare et je pense ne pas être la seule à ne fréquenter que sporadiquement le juste milieu. Quand nous nous éloignons trop de lui, nous sommes sans cesse préoccupés et nous en faisons trop, nous nous inquiétons de ne pas être à la hauteur, de ne pas être la bonne mère, le père idéal, le compagnon espéré, la femme dans l’air du temps. D’ailleurs le temps nous presse, nous stresse et plus nous lui donnons d’importance, plus nous nous impliquons dans l’action, dans ce qui pourrait ou non advenir, plus les angoisses nous assaillent. Car chaque seconde non occupée de la journée devient synonyme d’incompétence ou d’inutilité. Si souvent je me sens débordée, et je le suis sincèrement, par toutes ces activités quotidiennes qu’il nous faut enfiler sans faillir. Si j’examine chacune d’elle séparément, aucune ne me dérange profondément, aucune n’est insurmontable : prendre rendez-vous chez le médecin, écrire le texte promis, répondre aux mails, réserver cette formation, repenser l’agenda, terminer un dossier qui traîne depuis des mois, aller chercher mon fils à la gare, passer chez le pharmacien, annuler le cours de mardi prochain… mais la somme de ces petites actions à la fois anodines et indispensables qui nous font courir en tous sens nous essouffle.
Nous savons bien, pourtant, que le repos est délivrance, que le monde continue à tourner sans nous. Que nous sommes dispensables. Mais nous savons aussi que c’est le travail, l’action, le courage et la ténacité qui nous font avancer. Puiser dans ces deux paradoxes la juste part au juste moment, voilà tout l’art de l’harmonie. Comment s’y prendre ? Je cherche toujours ! Parfois, l’image qui me vient en tête quand je suis à bout de souffle est celle du Prince Siddhartha qui, cherchant précisément cet équilibre, entend un vieux maître de musique dire à son élève : Si tu tends trop la corde elle casse. Si tu ne la tends pas assez elle ne sonne pas. C’est exactement ça ! La vraie question devient alors : de quel talent doit-on être investi pour tutoyer cette subtilité ?
J’ai pensé à la fragilité ! Oui, c’est peut-être là où réside cette grâce en chacun d’entre nous. Ce point d’achoppement, cet accroc mineur, cette toute petite faille qui nous fait perdre pied et nous rend vulnérables, hésitants. On ne sait plus très bien où on est, où on va, ce qu’il faut faire, s’il faut tenir ou lâcher. On est perdu. Et c’est dans cet état exactement, si souvent considéré comme aveu de faiblesse, qu’il nous est donné de trouver l’harmonie, cette manière d’être souple qui tangue entre le laisser-faire et l’intervention. Parce que comme l’animal, nous en revenons alors à l’instinct.
Soyons fous ! Soyons fragiles !
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