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SUBAMA ET L'ESPRIT DE NOËL

A Lily



Pwapy avait suivi Pônwé au marché de Noël. Elle aimait cette période depuis toujours.


Même si cette fête venait de loin, plus loin que la mangrove de son village, elle aimait cet Esprit de Noël qui planait partout et son cœur se remplissait de joie en pensant qu’à travers le Monde, cet Esprit était là pour tous.



Pendant que Pônwé discutait avec sa cousine Many qui proposait des mini-cases de la Nativité, le regard de Pwapy se promenait sur les différents étals. Il s’arrêta d’abord sur celui de Many. Elle admira particulièrement une des cases construites sur une grande planche de bois sur laquelle elle avait installé un décor constitué d’une oasis, de dunes de sable et de la case qui accueillait l’enfant Jésus, ses parents et les Rois Mages. La mise en scène faisait pousser des cris d’admiration à tous ceux qui passaient devant. Son regard fut ensuite attiré par une aquarelle représentant la presqu’île de Nouville à Nouméa.


Cela la ramena au Noël de ses 7 ans. Ce Noël correspondait à un grand évènement de la vie des Nouméens : l’inauguration du pont qui reliait la ville de Nouméa à l’île Nou, qui deviendrait la presqu’île de Nouville.


La Mairie avait décidé de fêter cela en grandes pompes avec un invité d’honneur : le Père Noël. Une de ses tantes habitant l’île Nou, la famille avait alors décidé de se retrouver au grand complet pour le réveillon de Noël chez elle, ce qui serait facilité par le pont.


Les voilà donc tous partis en direction du pont, la benne de la voiture remplie de victuailles et d’une énorme malle qui l’avait alors intrigué puisqu’elle n’avait vu personne la préparer. Lorsqu’elle avait questionné Grand-Mère, celle-ci lui avait répondu par un sourire énigmatique.


Le Père Noël était arrivé, salué par un formidable feu d’artifice. A peine ce dernier repartit, elle avait vu les adultes se précipiter vers la voiture et entendu Grand-Mère dire « Vite, vérifiez la malle ! », qui fut ouverte prestement mais suffisamment puisque Pwapy avait eu le temps de voir qu’elle regorgeait de cadeaux… Noël était décidément une affaire bien importante, avait-elle pensé…


Quelques années plus tard, Grand-Mère lui transmettrait l’Esprit de Noël. Elle lui avait demandé une fin d’après-midi de la rejoindre dans la case pendant que ses frères et sœurs jouaient sur la plage. Pwapy avait compris d’instinct que l’instant était solennel et son cœur s’était mis à battre la chamade. Après avoir écouté attentivement Grand-Mère, les yeux baissés en signe de respect, elle eut la confirmation que Noël était effectivement une affaire bien importante.



Aujourd’hui, Pwapy avait une tâche importante : c’était à son tour de transmettre à sa fille Subama, qui venait de fêter ses 13 ans, l’Esprit de Noël. Elle allait lui apprendre à le faire descendre afin que sa famille puisse participer à cette grande fête célébrée sur Terre. Dans la culture Kanak, la femme est le lien entre le monde des esprits et le monde des humains. C’est pour cela que cette transmission se fait de mère à fille.


Le tuteurage des lianes d'ignames venait de toucher à sa fin, la préparation des champs de bananiers, taros, cannes à sucre et patates douce avait commencé. Les flamboyants étaient en fleurs, bientôt les pieds de letchis deviendraient rouges et lourds de fruits. Les grandes vacances arrivaient et le temps de Noël aussi.


A la sortie de la messe du 1er dimanche de l’Avent, Pwapy fit signe à Subama de la suivre. Elle se dirigea vers la plage. Là près d’un cocotier, elle avait déposé une natte et tout autour des paniers tressés. Chacun d’eux débordait de guirlandes de fleurs, de boules de Noël. Il y avait également une case de la Nativité réalisée par Many.


Elle voyait que le cœur de Subama était rempli de joie et d’allégresse. Ses yeux pétillaient.


Pwapy l’invita à la rejoindre sur la natte et à regarder dans les paniers tressés. La petite fille était émerveillée. D’habitude, elle découvrait à son réveil toutes ces jolies décorations dans les arbres, les plantes autour de la case, avant d’assister à la première messe de l’Avent. C’était un autre signe pour elle que les grandes vacances approchaient, que Noël serait bientôt fêté. Elle comprenait maintenant pourquoi elle ne les avait pas vu comme à l’accoutumée.


Pwapy, les jambes étendues devant elle, la laissa encore un moment sortir une à une les jolies décorations de Noël puis se mit à lui parler :


« Chez nous, Noël est la période où les petits enfants sont mis à l’honneur, où leurs petites bêtises sont acceptées et pardonnées, où ils sont félicités d’avoir bien travaillés à l’école. Ils savent qu’ils vont pouvoir à nouveau courir et s’amuser toute la journée avec leurs frères et leurs cousins, retrouver les grands-pères et grands-mères, les tontons et tantines, faire la sieste sous les cocotiers, se baigner toute la journée à la mer ou à la rivière. C’est aussi la période des petits cadeaux, des joujoux que toute la famille leur offre le jour de la naissance de l’enfant Jésus.

Pour que cette période se passe bien, il faut faire descendre l’Esprit de Noël dans nos cases. Il faut, en plus de choisir la couleur de nos décorations, choisir la couleur de nos émotions, de nos énergies et permettre à l’Esprit de Noël d’envahir le cœur de chacun.

En installant chacune de ces décorations, en préparant les bons repas pour la famille et les amis qui ne manqueront pas de nous rendre visite, en préparant des petits cadeaux que nous allons confectionner avec les feuilles de pandanus, les coquillages ramassés sur la plage, nous allons y mettre tout l’amour que nous avons pour chacun d’entre eux. Ainsi, tout au long de l’année, ils pourront se souvenir de ce moment si doux et joyeux que nous leur avons préparé. Ils accompliront chacune de leurs tâches au cours de l’année qui viendra en pensant qu’au bout du chemin une période de joie et d’allégresse les récompensera à nouveau. »


Pwapy croisa le regard de Subama. L’enfant leva les yeux vers le ciel, une prière muette montant à ses lèvres : elle remerciait le ciel et la terre, les anciens et l’Esprit de Noël pour la confiance qu’ils mettaient en elle. Pwapy savait que désormais l’Esprit de Noël accompagnerait sa fille jusqu’à la fin de sa vie, qu’elle participerait avec d’autres à travers le Monde à répandre la joie et qu’à son tour, le moment venu, elle le transmettrait.


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