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Une maman pour Noël - nouvelle

L'auteure Laurel Geiss nous offre sa nouvelle de Noël à quelques jours de la célébration des fêtes de fin d'année. Belle lecture et merveilleuses fêtes à chacun.



Il était une fois un petit garçon dont l’unique souhait était celui d’avoir une maman. Pour ce faire, Marceau répétait à l’envi son vœu sacré dès qu’une opportunité se présentait à lui, que ce soit le jour de son anniversaire en soufflant ses bougies, ou les nuits de pleine lune, ou bien encore quand il avait la chance d’apercevoir une étoile filante.

Un jour, alors qu’il avait à peine cinq ans, on lui avait affirmé qu’il suffisait de croiser les doigts et de fermer les yeux très très fort en pensant à son vœu. S’il ressentait des chatouillements, ou une sorte d’électricité, lui traverser le corps, c’était plutôt bon signe. L’esprit de Marceau fut dès lors convaincu d’un monde de l’invisible à son écoute et il n’avait jamais cessé de se persuader que penser très fortement à quelque chose ne pouvait qu’attirer à lui cette idée. À ce jour pourtant, pas de maman à l’horizon malgré tous ses efforts.


Marceau n’avait malheureusement jamais connu sa mère, la belle Luciana, qui avait fermé les yeux pour toujours à la seconde même où ceux de son fils s’étaient ouverts sur la vie. Son père, Guillaume, avait alors vu son existence basculer en quelques secondes, en perdant son âme sœur. Toutefois, malgré cette épreuve terrible, dès l’instant qu’il avait posé les yeux sur Marceau, tout son amour pour sa femme s’était d’emblée cristallisé sur le minuscule être si fragile et innocent qu’il tenait contre son cœur.

Enfant au caractère discret, ce petit bonhomme curieux et malin savait écouter et observer tout ce qui se passait autour de lui. Adorable brunet aux traits italiens transmis par sa mère, il faisait l’unanimité tant auprès de ses camarades, qu’auprès des adultes, ne laissant personne indifférent.


Lorsqu’il était entré en CP dans l’unique école de son petit village provençal, l’un des nouveaux avait été choqué qu’il n’ait aucune maman. Jusqu’à présent, pour ses amis qui l’accompagnaient depuis sa plus tendre enfance, cet état de fait ne souffrait d’aucune surprise, mais pour le nouvel arrivant, il était plus qu’inconcevable et extrêmement surprenant de n’avoir jamais eu de maman.

Ce jour-là, Marceau s’en était ouvert à son père à son retour à la maison :

— Pourquoi je n’ai pas de maman moi ? avait-il lancé comme si de rien n’était en mordant à pleines dents dans une généreuse tartine de confiture, son goûter préféré.

— Je te l’ai déjà expliqué mon chéri, lui répondit patiemment Guillaume qui avait toujours mis un point d’honneur à ne jamais rien cacher à son fils. Quand tu es né, ta maman a eu un grave problème dans son corps. Elle a réussi à donner toutes ses forces pour que tu viennes au monde, mais son cœur n’a pas résisté. Nous en avons souvent parlé toi et moi, et...

— Oui, papa, je sais tout ça..., mais pourquoi je n’ai pas une autre maman ? Comme les autres enfants… Tu sais mon copain Léo, lui, il en a même trois des mamans !

— Trois ? Heu..., non, heu..., bafouilla Guillaume pris au dépourvu par cette annonce. Je ne savais pas... Comment c’est possible ?

— C’est tout bête, quand son père et sa mère se sont séparés, son père a trouvé une nouvelle femme, et sa mère a remplacé son père par une dame, du coup, Léo a trois mamans, c’est pas trop cool ça ?

— Oui, c’est plutôt cool, en effet, sourit Guillaume amusé par la capacité que détiennent les enfants, et particulièrement le sien, à prendre les choses de la vie comme elles se présentent, sans aucun jugement, contrairement à bien des adultes.

— Du coup, renchérit Marceau, moi je ne demande pas grand-chose finalement. Une seule maman, ça m’irait très bien.

— Je comprends..., mais on est plutôt bien tous les deux, entre mecs, non ? avait coupé court Guillaume.

À la mort de Luciana, le jeune père s’était toujours refusé à faire entrer une autre femme dans sa vie, et encore moins dans celle de son fils. Naturellement charismatique et charmant, il attirait pourtant bon nombre de femmes. Ses relations se comptaient toutefois sur les doigts d’une main. Avec Linda, Sophie et Camille, les seules personnes avec lesquelles il s’était autorisé une aventure un peu plus poussée lorsque Marceau n’était encore qu’un tout petit garçon, il s’était senti bien, et avait eu par trois fois l’espoir de pouvoir réussir à enfin reconstruire quelque chose. Malheureusement, dès que chacune de ces relations avait pris un ton plus sérieux, la panique l’avait envahi et il s’était réfugié dans la fuite. Après un troisième échec, Guillaume s’était donc convaincu que l’amour n’était plus pour lui. Son fils incarnait depuis son unique raison de vivre.

Et puis, quelques mois auparavant, une autre page du grand livre de la vie de Marceau et de son père s’était tournée. Après avoir accepté la gérance d’une succursale de sa boite spécialisée dans les assurances, Guillaume avait dû quitter son petit village natal de Sault, célèbre pour la culture de la lavande, pour venir s’installer en Alsace. Au milieu de l’été, père et fils avaient donc posé leurs valises à Kaysersberg, une adorable et bucolique bourgade nichée dans une vallée entre vignobles et montagnes. Dès son arrivée, Guillaume s’était senti chez lui dans cette nouvelle région, un peu comme si cet endroit l’attendait. Après une fin de vacances estivales menée au rythme des découvertes des plus beaux coins alentour, Marceau avait démarré sereinement son année de CE2 dans l’école du village et son père avait intégré son poste sur Colmar comme une évidence.


Maintenant, le mois de novembre touchait tranquillement à sa fin. Les températures chutaient chaque jour un peu plus, et quelques flocons de neige avaient déjà fait leur apparition pour le plus grand bonheur du petit garçon. La période de l’année préférée de Marceau pointait enfin le bout de son nez. Marceau savait par les récits de son père que Luciana, sa maman, avait toujours adoré Noël, une passion transmise à l’origine par sa nonna italienne. Cette irrésistible folie de Noël, elle avait réussi à la communiquer à son mari, et ce dernier avait ensuite mis un point d’honneur à perpétuer les traditions auprès de son fils, en souvenir de sa femme.


Dans le village alsacien, une joyeuse effervescence animait chacune des rues depuis plusieurs jours déjà. Tous les habitants avaient redoublé d’efforts et d’inventivité pour proposer une décoration de leur façade la plus recherchée et la plus travaillée possible. À Kaysersberg, comme dans toutes les villes et les villages alentour, les maisons traditionnelles à colombages apportaient déjà un cachet particulier aux rues historiques, mais à l’approche des fêtes de Noël, rien n’échappait à l’œil averti de tous les kaysersbergeois. Le moindre lampadaire, le plus petit recoin, chaque fenêtre, tous les balcons se devaient d’être parfaitement décorés.


Aujourd’hui vendredi était un jour important pour le bourg. Marceau, après sa journée d’école, s’était dépêché de rentrer chez lui et trépignait d’impatience dans le salon, déjà tout emmitouflé dans son blouson rouge, le bonnet vissé sur la tête et les moufles enfilées. Guillaume avait fait en sorte de terminer plus tôt en ce jour si spécial et avait ainsi pu libérer Lila, la nounou, pour qu’elle aussi puisse rejoindre famille ou amis en cette soirée particulière. Dans quelques heures, le moment tant attendu par tous les villageois allait enfin avoir lieu. Pour Marceau et son père, cela allait être une grande première, car ni l’un ni l’autre, plutôt spécialistes des Noëls provençaux, n’avait jamais vécu ce genre de manifestation typiquement alsacienne.


Une fois la nuit tombée, ils se dirigèrent main dans la main, enfin plutôt moufle dans le gant, vers la petite place de l’église. Il y avait déjà beaucoup de monde et une ambiance bon enfant régnait. Rien ne valait la chaleur humaine pour réchauffer les corps et les cœurs. Au bout de quelques minutes, qui parurent des heures au garçonnet, l’obscurité se fit sur la place et un décompte fut lancé. Grand et petits, dans une excitation palpable, se mirent à compter à rebours d’une seule voix. À zéro, des cris d’émerveillement et de joie retentirent dans l’assemblée. Le cœur de Marceau se mit à battre fort dans sa petite poitrine et des frissons d’exaltation le parcoururent. Il serra un peu plus la main de Guillaume qui, lui, arborait un regard brillant d’émotion. Si Luciana pouvait voir ça... La clameur s’intensifia, des sifflets appréciateurs se firent entendre et toute la foule se mit à applaudir.


Devant leurs yeux ébahis se dressait un magnifique arbre de Noël scintillant de mille feux grâce à des dizaines d’étoiles lumineuses. D’énormes boules aux couleurs changeantes allant du rouge chatoyant, au violet hypnotisant, en passant par le bleu électrisant, pour finir sur un blanc éblouissant, donnaient à l’arbre sacré une originalité toute particulière selon la seconde où les yeux des promeneurs se posaient sur lui. Lila, enfant du pays et passionnée d’histoire, avait pris un plaisir non dissimulé à raconter quelques heures auparavant à Marceau et son père l’origine du sapin de Noël dans la région. Cela remontait loin, bien avant l’ère chrétienne. L’épicéa, ou arbre de l’enfantement pour les Celtes, avait été associé à la date du vingt-quatre décembre. À cette époque, il symbolisait la vie et la renaissance pour les païens au moment du rite du solstice d’hiver, et arborait sur ses branches des fruits, du blé et des fleurs. Bien plus tard dans l’histoire, au douzième siècle, l’arbre avait fait son apparition en Europe, précisément en Alsace. Officiellement nommé Arbre de Noël dans la région vers 1521, il portait alors comme décorations des pommes, des confiseries et des petits gâteaux. Il n’était devenu traditionnel en France qu’au dix-neuvième siècle, grâce aux immigrés d’après-guerre provenant d’Alsace-Lorraine.

Toujours debout au milieu de la placette devant l’église, juste à côté de la fontaine, père et fils tournant lentement sur eux même, en prirent plein les yeux de toutes parts grâce aux milliers de décorations qui rendaient un magnifique hommage à chacune des habitations médiévales de la cité.

Après avoir repris leurs esprits, une joie infinie leur remplissant le cœur, Marceau et Guillaume entamèrent une balade magique et hors du temps au gré des ruelles où se tenait chaque année l’un des plus beaux marchés de Noël de France et d’Alsace. Devant l’un des charmants petits chalets de bois regorgeant de décorations artisanales plus adorables les unes que les autres, Marceau s’arrêta net. Son père s’approcha pour voir de plus près ce qui avait à ce point subjugué son garçon. Ce dernier semblait hypnotisé par la fragile boule de verre soufflé qui lui faisait face. Se penchant à son tour vers le globe délicat, les battements cardiaques de Guillaume s’accélérèrent et il ressentit une émotion indescriptible à la vision qui s’offrait à lui. Marceau et son père se regardèrent et se comprirent sans se parler. Guillaume acheta la décoration et la confia à Marceau qui la serra délicatement contre son cœur. À l’abri dans le petit sac de papier coloré, un ange ressemblant trait pour trait à sa maman allait rentrer avec eux à la maison.


Le lundi suivant, le vœu si cher à Marceau d’avoir enfin une maman comme la plupart des enfants du monde s’incarna sans qu’il y soit vraiment préparé en la personne d’Iseline Weill. Lorsque la jeune enseignante remplaçante se présenta sous le préau devant le rang d’élèves en lieu et place de la vieille Madame Courbey, coincée au lit avec une vilaine grippe, Marceau y vit un signe manifeste du destin, enfin une réponse à ses souhaits indéfiniment répétés. Subjugué, il ne put lâcher des yeux la remplaçante de toute la matinée et son imagination l’emporta loin dans de merveilleux songes de famille heureuse. Il décida au moment de la pause méridienne que son père devait absolument la rencontrer. Il était certain que, tout comme cela avait été le cas pour lui, ce dernier tomberait inexorablement sous le charme de la jeune femme. Plongé dans ses rêves d’enfant où tout semblait possible, Marceau ne se posa aucune question terre à terre. Cette nouvelle maîtresse avait débarqué de nulle part pour une seule et unique raison, devenir sa maman.


Le matin suivant, il croisa fort les doigts et se concentra comme jamais pour que mademoiselle Weill puisse rester jusqu’aux vacances de Noël. Une seule semaine ne suffirait évidemment pas pour mettre à exécution son plan, qu’il avait fièrement nommé « Une maman pour Noël ». Le petit garçon fut complètement estomaqué d’apprendre l’après-midi même que sa nouvelle maîtresse allait bien avoir en charge la classe pour les semaines à venir, car l’état de Madame Courbey ne lui permettrait pas de revenir de sitôt. Cette nouvelle toucha Marceau plus qu’il ne s’y attendait. Il se sentit même un peu coupable. Malgré un caractère parfois sévère et une apparence à première vue froide, il l’aimait quand même bien sa maîtresse. Elle n’avait jamais été méchante avec aucun des enfants de la classe et attachait une grande importance à la réussite de tous ses élèves. Il s’en voulut donc que son vœu l’ait peut-être rendue plus malade qu’elle ne l’était à l’origine. S’apercevant de son air triste au moment de la pause méridienne, assis seul sur un banc emmitouflé dans sa doudoune rouge et le bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, ses copains s’inquiétèrent et vinrent l’entourer pour comprendre ce qui lui arrivait. Honnête et d’une confiance à toute épreuve, bien rare parmi les enfants de cet âge, le petit groupe écouta attentivement les préoccupations de leur ami.


À la fin de son exposé, la seule fille de l’équipe, Naïs, blondinette au regard bleu malicieux, jamais en reste face aux garçons, prit la parole en tapant ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer.

— Ne t’inquiète pas pour Madame Courbey, dit-elle avec un sourire qui se voulait rassurant. Ses mots dégagèrent un fin brouillard dans le froid particulièrement piquant de cette journée quand elle continua. La maîtresse va se reposer et elle ira vite mieux. Je suis sûre qu’elle sera de retour à la rentrée.

— Oui... Mais ça veut dire aussi que Mademoiselle Weill ne sera plus là... et si je n’ai pas réussi à lui faire rencontrer mon père, mon plan tombe à l’eau, dit Marceau en rentrant un peu plus la tête dans son cache-nez.

— T’inquiète ! s’exclama Léo en lui adressant un clin d’œil. Léo, lui n’avait jamais froid, il pourrait très bien vivre au Pôle Nord s’il le fallait. Si on s’y met tous, ajouta-t-il, on va bien trouver un moyen pour qu’ils tombent amoureux tous les deux.

— Vous êtes sûrs qu’elle n’est pas mariée au moins les gars ? interrogea Raphaël toujours à penser aux détails techniques. Parce qu’alors si c’est le cas, là c’est foutu d’avance, je vous le dis, moi.

— Elle n’a pas d’alliance, j’ai déjà regardé, assura Marceau.

— Ça veut rien dire ça, elle a peut-être quand même un chéri si ça se trouve.

— Youenn a raison et il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, c’est de lui demander ! Je m’y colle si vous voulez, proposa Léo. Je trouverai bien une solution.

— OK, valida Marceau en remerciant son copain d’un franc sourire.

— Maintenant, il faut des idées pour que la remplaçante et ton père se voient le plus possible, sinon ça ne marchera jamais, lança Naïs. Tu crois qu’il pourrait nous accompagner jeudi à la bibliothèque ? Ma mère devait s’y coller, mais je suis sûre qu’elle ne rechignera pas à laisser sa place avec « tout ce qu’elle a à faire », comme elle me le répète tout le temps, dit-elle en imitant sa mère avec de drôles de mimiques, ce qui ne manqua pas de faire rire ses copains.

— Bonne idée. Je lui demanderai ce soir. J’espère vraiment qu’il pourra parce que mon père aussi est super occupé avec son nouveau boulot, d’ailleurs depuis qu’on a déménagé pour venir vivre ici, je le vois de moins en moins.

— Et bien, dis-lui ! Il ne pourra pas refuser de nous accompagner comme ça, s’enthousiasma Naïs le regard brillant.


Le lendemain, au petit-déjeuner, Marceau eut la merveilleuse surprise d’apprendre que son père allait passer la journée avec lui. La veille au soir, durant le repas, il avait comme prévu timidement reproché à Guillaume ses trop nombreuses absences et ce dernier avait immédiatement pris les choses en main. Son fils étant sa priorité, hors de question que son travail prenne le pas sur leur belle relation père-fils qu’il s’efforçait d’entretenir depuis la naissance du petit. Il avait ainsi accepté d’accompagner la classe à la bibliothèque, et voir son fils si heureux, sans savoir ce que cela pouvait cacher en réalité, restait pour lui le plus beau remerciement du monde.

Cette journée de mercredi fut consacrée à la décoration de la maison. D’un commun accord, Guillaume et Marceau avaient décidé cette année de ne pas monter leur vieux sapin artificiel, mais d’attendre plutôt le dernier moment afin de se procurer un bel arbre naturel dont la senteur particulière les accueillerait chaque matin au réveil jusqu’à Noël. Comme tous les ans à cette période, les deux garçons prirent un plaisir non dissimulé à ouvrir leurs cartons de décorations. En quelques heures d’efforts qui n’en étaient pas vraiment pour eux, la maison des Besnards père et fils se transforma du tout au tout. Grâce à toutes les guirlandes, les boules et autres objets à suspendre accumulés depuis des années par Luciana et Guillaume, avant la naissance de Marceau, puis par Guillaume seul depuis, le logement dégageait une atmosphère chaleureuse et festive. Sur la table de la salle à manger, tous deux prirent un plaisir tout particulier à monter le village de Noël tout automatisé, la plus grande fierté de Guillaume depuis des années.

En fin de journée, alors que la nuit était déjà tombée, Marceau accompagna son père avec une joie non dissimulée dans l’une des boutiques de décoration du village afin de compléter la collection animée. À l’intérieur du minuscule magasin qui ressemblait beaucoup à l’atelier des lutins de Noël, père et fils se mirent d’accord sur un magnifique carrousel miniature. À la caisse, une douce voix cristalline interpella le petit garçon.

— Bonjour Marceau.

— B...Bonjour, Mademoiselle Weill, bégaya-t-il, ne s’attendant pas à tomber sur sa jolie maîtresse.

— Bonjour, monsieur, vous devez être son papa. Je suis l’enseignante de votre fils jusqu’aux vacances, continua-t-elle en souriant tout en lui tendant la main.

— Enchanté mademoiselle, j’espère que ce petit garnement travaille bien en classe et ne vous fait pas tourner en bourrique, lança Guillaume en ébouriffant la tête de Marceau.

— Votre garçon est adorable et très sérieux. Je ne me fais aucun souci pour lui, sourit-elle en adressant un clin d’œil à son élève.

— Mademoiselle, papa nous accompagne demain à la bibliothèque, l’informa Marceau à l’affût de la moindre réaction ou du plus petit regard particulier entre les deux adultes.

— J’en suis ravie. J’ai reçu en effet un message de la maman de Naïs tout à l’heure qui me prévenait ne plus pouvoir venir. Vous nous sauvez la mise monsieur, sans vous j’aurais dû annuler.

— Ce sera avec plaisir. À demain, alors.

— Oui à demain. Bonne soirée.


Dans la voiture, Marceau jubila quand son père se mit à parler de sa nouvelle maîtresse en des termes très positifs. Il l’avait trouvée sympathique et avait déclaré être en admiration devant cette capacité qu’avaient les enseignants à transmettre patiemment le savoir à toute une ribambelle d’enfants, alors qu’il doutait sans cesse de son éducation pour son seul fils.

— Et puis elle est jolie, non ? questionna Marceau pour enfoncer le clou.

Guillaume esquissa un léger sourire sans toutefois répondre, mais le jeune garçon connaissait par cœur son père, et il prit cette réaction pour un oui.


La sortie à la bibliothèque du lendemain passa à une vitesse folle. Guillaume, désigné adulte référent d’un petit groupe d’élèves en charge d’un exposé, exerça son rôle avec le plus grand sérieux. Un peu trop au goût de Marceau, qui ne le vit pas une seule fois tenter d’adresser la parole à sa maîtresse. Une fois de retour à l’école, il la salua simplement après qu’elle l’ait remercié chaleureusement de sa disponibilité, et rentra à la maison avec Marceau. Le petit garçon prit alors conscience que son vœu, si cher à son cœur, d’avoir une maman pour Noël, n’allait pas se réaliser aussi facilement que ce qu’il se l’était imaginé. Demain, il en parlerait aux copains, il fallait à tout prix trouver LA solution qui résoudrait son problème.


Ce fut une nouvelle fois Naïs qui proposa une idée. Toutefois, cette solution radicale ne parut pas enchanter Marceau.

— Si tu veux que ton père vienne rencontrer la maîtresse, tu n’as pas le choix, insista sa petite copine.

— C’est pas mon genre... Ça va me retomber dessus cette histoire. Vous en pensez quoi les gars ? demanda-t-il aux autres membres de la bande qui restaient silencieux.

— C’est risqué, mais ça peut le faire, osa Youenn, soulagé dans un sens de ne pas être concerné par le projet.

— Allez Marceau ! Comme dit ma grand-mère, aux grands maux les grands remèdes ! le motiva Naïs. Je suis certaine que ça va marcher !


Mais rien ne fonctionna comme prévu, malheureusement. L’idée de Naïs avait semblé pourtant infaillible sur le moment quand elle l’avait présentée, mais la réalité s’avéra bien plus compliquée. La petite fille, partie du constat que les maîtresses demandaient toujours à rencontrer les parents dès que quelque chose clochait chez un élève, avait réussi à convaincre Marceau de devenir, pour quelque temps, tout le contraire de l’élève exemplaire qu’il incarnait depuis toujours. Au début, le plan avait parfaitement fonctionné et son père avait très vite été convoqué en classe afin de discuter du comportement subitement anormal de son fils. Ce que n’avait pas prévu Marceau, c’était que son père s’afficherait si honteux face à sa maîtresse, fortement surpris et déçu de ses actes. Il fallait dire que Marceau n’avait pas fait les choses à moitié, tenant son rôle d’élève perturbateur et irrespectueux à la perfection pendant plusieurs journées. Sa prestation de petit voyou insupportable aurait été digne d’un prix aux Oscars, mais le résultat ne fut toutefois pas celui escompté.

Bilan, son père lui en voulut et s’en voulut bien plus à lui-même de ce changement profond de comportement. Il culpabilisa et estima qu’ils n’auraient jamais dû déménager, que cette instabilité, ajoutée au manque maternel, avait sûrement créé une réaction détonante sur son fils qui, il en était persuadé, cachait un profond mal-être depuis des mois.


Marceau, pris à son propre jeu, ne sut comment renverser la vapeur. Les choses avaient dégénéré, tout était allé trop loin, trop vite. Au fond de lui, il savait que la solution résidait à dire simplement la vérité à son père, mais du haut de ses huit ans, rétablir la communication semblait impossible. Et puis, son projet d’avoir une maman pour Noël ne lui apparaissait plus à ce jour une idée si lumineuse. Il se mordit les doigts d’avoir eu cette idée idiote. Il n’avait pas de maman, et alors ? Son père n’avait-il pas été toujours là pour lui ? Maintenant, ce dernier était fâché et Marceau craignait que quelque chose se soit irrémédiablement brisé entre eux. Son petit cœur d’enfant se serra tristement à l’idée que peut-être son papa ne voudrait plus vraiment l’être à l’avenir.

Après une dernière journée de classe éprouvante pour lui, Marceau fut soulagé de retrouver sa chambre dont il ne sortait plus trop. Les fêtes de Noël s’annonçaient compliquées et, pour la première fois, Marceau aurait préféré que tout soit déjà derrière lui, ou même encore mieux, s’il pouvait revenir en arrière, il ne se ferait pas prier. Il n’avait toujours pas réussi à parler à son père. Ce dernier, de son côté, semblait être complètement passé à autre chose. Après avoir à maintes reprises tenté d’interroger son fils sur les raisons de ce clash aussi soudain que surprenant, Guillaume laissa tomber, désarmé face à un petit garçon devenu mutique, barricadé derrière un masque de tristesse incompréhensible. Il estima que son fils lui parlerait quand il serait prêt. Il choisit donc la patience.


En ce premier soir de vacances, le cœur lourd de non-dits, Marceau peinait à trouver le sommeil. Roulé en boule sous sa couette, il serrait contre son lui la boule à neige abritant son ange-maman. Agité de soupirs et de profonds hoquets de tristesse, il ne souhaitait maintenant plus avoir une maman, mais simplement que son papa réussisse à lui pardonner ses agissements idiots pour que tout redevienne comme avant. Retrouver l’insouciance et le bonheur, voilà tout ce qu’il souhaitait du plus profond de son cœur en serrant les poings et les paupières. Le vœu ainsi lancé, le petit garçon sentit un léger picotement, une agréable sensation de chaleur lui traverser le corps de la tête aux pieds. Rempli d’un nouvel espoir de voir peut-être son ultime souhait se réaliser, il s’endormit un peu plus paisible, une dernière larme roulant sur sa joue.


Le lendemain matin, en ouvrant les yeux, Marceau sentit son cœur plus léger, comme si le poids qu’il traînait depuis des jours s’était envolé comme par magie. Décidé, il savait ce qu’il lui restait à faire. Il se leva et fila directement voir son père qu’il trouva dans la cuisine, perdu dans ses pensées, fixant des yeux son café fumant.

— Papa..., commença-t-il hésitant. Je suis désolé de t’avoir fait de la peine avec mon comportement idiot. Je sais bien que tu fais tout ce que tu peux pour moi depuis toujours et j’ai honte d’avoir tout gâché. J’avais une bonne raison pour tout ça au départ, et puis ça a dérapé et tout est parti en cacahuètes.

Marceau fit une pause, jaugeant la réaction de son père qui ne disait rien, attendant la suite de ses explications.

— En fait, si j’ai fait toutes ces bêtises, continua le petit garçon en baissant la tête, c’était juste pour que ma maîtresse te demande de venir la voir. J’espérais que tu tombes amoureux d’elle... Je m’étais dit qu’elle ferait une super maman. Je l’aime bien. C’est bête, je sais, et maintenant tu es très fâché. Je suis désolé. Pardon, papa…


Relevant lentement le chef, ses yeux humides croisèrent le sourire attendri et ému de Guillaume qui, toujours sans rien dire, lui fit signe d’approcher. Le soulevant dans ses bras, il le serra fort sur son cœur. À ce moment, Marceau ressentit un immense soulagement et un soupir de bien-être lui échappa. Alors son père lui apprit qu’il était déjà au courant de tout, car ses amis, inquiets, étaient venus le trouver.

— Ta petite copine, Naïs, pourrait devenir une excellente avocate, dit-il en éclatant de rire. Elle t’a défendu comme si sa vie en dépendait.

— Mais ce n’est pas ma petite copine ! rougit instantanément Marceau.

— Tu as de la chance d’avoir de tels amis mon grand. Tu comptes beaucoup pour eux. Mais il faut que tu saches une chose très importante. Je ne t’en ai jamais voulu de quoi que ce soit. J’en voulais à moi-même uniquement. Je ne me suis pas senti à la hauteur et la situation m’a déstabilisé. J’avoue avoir douté. Et ensuite tu t’es fermé comme une huître et je n’ai plus rien pu tirer de toi. Alors j’ai attendu que tu fasses le premier pas.


Les paroles de son père soulagèrent complètement Marceau. Tout rentrait dans l’ordre et il n’avait pas perdu sa complicité avec son papa. Le reste des vacances s’annonçait beau et joyeux, surtout que Guillaume avait pu poser une semaine de congés.

La veille de Noël tant attendue arriva très vite. Les journées précédentes avaient défilé à une allure folle tant le père et le fils avaient profité au maximum l’un de l’autre à chaque instant. Descendant de sa chambre sur son trente-et-un, Marceau allait proposer son aide pour préparer une belle table de fête quand il s’aperçut qu’elle était déjà mise. Il fut alors surpris de voir que le couvert était dressé pour trois. Avaient-ils un invité ?


Au moment où il allait interroger son père, le carillon de la porte d’entrée retentit joyeusement. Sûrement l’invité mystère ! Rempli de curiosité, Marceau courut ouvrir la porte et resta sidéré face à la personne qui se tenait sur le seuil. Les battements de son cœur s’accélérèrent. Devant lui, une jolie mère Noël toute de rouge vêtue, lui souriait les yeux brillants. Que pouvait bien faire Mlle Weill ici, chez lui, le soir de Noël ?


Marceau, toujours béat et sans voix, se tourna vers son père, le regard réclamant des explications. À ce moment, Guillaume lui prit la main et tendit la deuxième vers la maîtresse pour l’inviter à entrer. Marceau ne pouvait pas en croire ses yeux. Est-ce que son vœu s’était finalement réalisé ? Est-ce que son plan idiot avait contre toute attente fonctionné ? Son cœur battait la chamade et il ne pouvait se défaire du sourire éclatant qui lui mangeait le visage.

— Installons-nous dans le salon. Marceau, j’ai des choses à te dire.


Le petit garçon écouta Guillaume sans l’interrompre un seul instant. Semblant flotter sur un nuage de douceur, il ne pouvait détacher les yeux des mains de son père qui enserraient amoureusement celles de sa maîtresse. Il apprit ainsi que ces deux-là s’étaient rencontrés plusieurs mois plus tôt, bien avant qu’Iseline ne soit envoyée en remplacement de Madame Courbey. C’était au cours de son footing hebdomadaire que Guillaume était tombé sur la jeune femme au détour d’un des jolis sentiers entourant le village. Plusieurs fois ils s’étaient croisés par hasard, puis le hasard était devenu une intention partagée. D’un commun accord, ils avaient décidé de prendre tout leur temps pour se découvrir et voir où tout cela les menait, en gardant leur relation secrète. Et puis, Iseline avait été nommée sur la classe de Marceau, la discrétion s’était alors d’autant plus imposée.


Marceau reçut toutes ces informations sans la moindre réaction extérieure, tel un mannequin immobile, toutefois au plus profond de lui-même, un feu d’artifice d’émotions plus fortes les unes que les autres l’agitait. Il réalisa avec bonheur qu’au final tous les trois souhaitaient en fait exactement la même chose !

Inquiets de le voir ainsi figé, Guillaume et Iseline se regardèrent bien embêtés. Tenant toujours les mains d’Iseline, le père de Marceau dégagea l’un des siennes pour la déposer sur l’épaule de son fils. Une étrange sensation, comme un agréable courant électrique, traversa alors simultanément les trois êtres. Le regard de Marceau se mit à pétiller intensément et son magnifique sourire vint à nouveau éclairer son visage. Riant et pleurant en même temps, il se jeta alors dans les bras de son père.

Iseline, les larmes aux yeux, ne s’attendit pas à ce que son cœur explose littéralement d’amour lorsque le petit garçon vint soudain se blottir contre elle. Marceau n’était plus que le bonheur incarné, la représentation humaine de l’amour. Il sut à cette seconde qu’il continuerait sans cesse à croire en ses rêves, car il en avait aujourd’hui la preuve, cela en valait la peine.

En cette nuit magique, son souhait le plus cher avait été exaucé.

Il avait reçu le plus merveilleux des cadeaux, une maman pour Noël.


Le dernier roman de Laurel Geiss est disponible aux États-Unis sur Rencontre des Auteurs Francophones


Retrouvez son interview :



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