J'ai décidé d'ouvrir un carnet intime aujourd'hui, car je ressens un trop plein de tout : colère, tristesse, injustice, mais aussi un peu de joie dans tout ce marasme. Et comme je n'ai personne à qui en parler, je préfère l'écrire. Mon père se fout de ma vie et ma mère ferait un esclandre au collège, ce qui n'arrangerait pas la sauce. Je me présente. Je m'appelle Adrien et je suis le petit gros de service. Celui dont tout le monde plaisante, ou auprès duquel on se rassure en se disant qu'il y a toujours pire que soi.
Mais pire que moi je n'ai pas trouvé. En maternelle j'avais des amis pourtant, et je en me sentais pas complexé. Mais déjà, dès le primaire, j'ai vu le changement : personne ne voulait faire équipe avec moi en sport, et les filles ne me voyaient que comme le bon copain. Ces mêmes filles se détournent de moi aujourd'hui. Elles m'ignorent.
Mais le pire, c'est les garçons. Ils me frappent, me lancent des insultes, sans doute pour paraître cool auprès de leur bande. La plupart du temps, j'use de ma faculté à me rendre invisible : je regarde toujours vers en bas, je frôle les murs, contourne les groupes...Voilà ma vie. Désastreuse. Mais ce matin, alors que je me dirigeais vers le CDI, je n'ai pas fait gaffe. J'ai buté dans le sac de Mattew : cela a été le début de la fin. Lui et ses inséparables copains m'ont poussé, de l'un à l'autre, comme une balle ou un paquet encombrant que l'on se renvoie. Puis une fois à terre, ils ont enchaîné les coups de pied et coups de poing. Je pleurais de douleur et de rage quand une voix a retenti : pas celle des pions, non, ces bons à rien ne m'ont jamais protégé : et puis cette voix, je la connaissais. C'était celle d'Amandine, la nouvelle de ma classe. Étonnamment, elle n'a pas hurlé, mais cela a suffi à les stopper. Elle m'a aidé à me relever, a ramassé mon sac à dos et m'a dit, d'un air plein de sollicitude :
-ça va ? Tu veux que je t'accompagne à l'infirmerie ?
-Non merci. Tu sais, j'ai l'habitude.
Elle m'a adressé un sourire discret et a secoué ses longues boucles blondes, montrant ainsi son désaccord. Puis elle est partie. Comme ça.
Sans se rendre compte que cela fait dix jours que je ne rêve que d'elle.
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Salut mon journal,
Je n'ai jamais autant attendu la fin d'un week-end ! Je savais que dès le lundi, j'allais voir Amandine et j'avais maintes fois imaginé nos retrouvailles : je l’observerais de loin et la rejoindrais, le sourire aux lèvres. Elle abandonnerait son groupe de copines, s'avancerait vers moi et là, on ne se quitterait pas des yeux.
Le début du scénario était le bon : mais quand je suis arrivée à son niveau, elle ne s'est même pas retournée. Je lui ai tapé sur l'épaule et lui ai dit :
-Amandine, je suis là.
Elle m'a regardé, étonnée, et ses amies ont pouffé de rire. Je ne savais plus quoi déclarer ni où me mettre, alors j'ai bafouillé n'importe quoi et je suis parti. Pendant tout ce temps, elle n'a rien dit, se contentant de me fixer de ses immenses yeux verts.
Tout au long des cours, j'ai contemplé sa chevelure soyeuse qui cascadait sur ses délicates épaules. Quand je ferme les paupières, je vois encore ses longues mèches danser devant moi, déclenchant une érection incontrôlable. D'ailleurs, je te laisse : ça revient.
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Cher journal,
La semaine a été affreuse : Amandine ne m'a pas parlé, pas calculé une seule fois. Je ne savais pas ce que j'avais fait pour mériter ça. Je me sentais mal, mon estomac était perclus de crampes et ma tête me faisait un mal de chien. Je ne voulais pas aller à l'infirmerie, mais quand la prof de maths m'a demandé de répondre au tableau, je ne sentais plus mes jambes. Il paraît que je suis tombé en plein milieu de l'allée, au pied de la chaise d'Amandine. Tout ce que je me rappelle, c'est son visage inquiet, penché sur moi. Et là, j'ai su. J'ai compris! Si elle s’alarmait pour moi, c'est qu'elle m'aimait un peu! Mais elle ne souhaitait pas parler de son amour pour moi à ses amies, mais je l'ai perçu à ce moment : elle désirait garder nos sentiments pour nous. J'étais d'accord. Ce serait notre secret.
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Salut,
Hier, j'ai suivi Amandine ; je voulais tout connaître d'elle : où elle habitait, à qui elle parlait, avec qui elle vivait... Je n'ai pas été déçu ! Elle s'est d'abord rendue au conservatoire, pour des cours de piano. La musique était perceptible par la fenêtre et j'apercevais sa silhouette appliquée penchée sur le clavier, ses boucles domptées par une barrette dans un chignon aléatoire. Je me suis masturbé deux fois pendant la leçon : je n'avais pas peur d'être vu, je m'étais hissé dans les branches d'un chêne pour mieux le regarder. C'était un moment magnifique. Je fermais les yeux en profitant de cette musique qu'elle jouait pour moi, j'en étais persuadé.
Puis elle a quitté les lieux de sa démarche dansante, se dirigeant vers une maison assez moderne, avec un étage qui ressemblait à une tour. C'était sûrement sa chambre ! Ma patience a été récompensée quand, deux heures plus tard, je l'ai vue se déshabiller. Entre temps j'étais allé chercher mes jumelles et je la remerciais de ce cadeau auquel je pensais encore en m'endormant.
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Cher journal,
Aujourd’hui, une palette d’émotions a traversé mon existence. Je t’explique : j’avais décidé d’accoster l’élue de mon cœur, car cela faisait plusieurs jours qu’elle ne m’adressait aucun regard. Que dalle. Ça me rendait fou! Puis j’ai compris qu’elle n’osait pas venir vers moi, peut-être par timidité, et qu’il fallait que je l’aide à exprimer ce qu’elle ressentait, ce lien si fort qui nous unit. J’ai donc profité de l’interclasse pour l’aborder. Au moment où je me suis approché d’elle, j’ai senti que son regard balayait le hall avant de se poser de nouveau sur moi. Je lui ai alors déclaré d’une seule traite :
– Tu veux qu’on aille boire un verre tous les deux après les cours ?
Elle m’a jeté une œillade horrifiée et je me suis liquéfié sur place. Elle a ensuite hurlé :
– Mais qu’est-ce que tu me veux à la fin ? Tu vas me lâcher ? Je ne veux pas de toi, j’ai juste eu pitié à un moment donné, c'est tout! Tu es content ? Tu me forces à te dire des choses horribles maintenant ! Dégage !
J'ai cru que le ciel me tombait sur la tête. J'avais envie de m'écrouler sur le sol, de m’effondrer en morceaux sous les mots d'Amandine.
Je restais interminablement planté là, jusqu'à ce qu'un pion vienne me signifier de regagner mon cours. Au lieu de cela, je suis sorti du collège et j'ai marché, longtemps. Puis j'ai compris : c'était un code ! Amandine avait été claire dans ses mots : elle avait dit « tu me forces ». Elle ne veut pas que notre amour soit divulgué, et je l'ai encore brusquée! Pourquoi faut-il que je sois pressé? Une fille comme elle, ça se mérite! Quand je me rappelle ses yeux inquiets posés sur moi quand je suis tombé, je me rassure : si ce n'est pas une preuve d'amour ça !
Mais j'ai compris. Je serais patient. Plus d'échanges au collège, je ne lui parlerais que quand on sera seul. Demain soir, lorsqu'elle sortira de son cours de piano. Ce sera parfait.
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Désolé mon journal, je ne t'ai pas raconté ce qui s'est passé depuis plus d'une semaine, mais il y a eu tant d'événements que j'ai été très pris !
Comme prévu, j'ai guetté Amandine à la sortie de sa leçon de musique. J'avais repéré la rue dans laquelle je devais l'aborder et aussitôt fait, elle m'a suivi chez moi.
J'avais raison ! Amandine m'aime et nous ne pouvons plus nous séparer.
Au départ, elle a eu peur quand je l'ai accosté, sans doute car elle ne s'y attendait pas. Mais j'avais tellement envie d'elle que je l'ai serrée dans mes bras, serrée...Et là elle a fondu. Elle ne s'est plus débattue et s'est laissée aller contre moi. Je l'ai embrassée, langoureusement, comme je l'avais vu faire dans les tutos sur YouTube. Elle était si emballée qu'elle s'est allongée au sol, elle était prête à ce qu'on fasse ça comme ça dans la ruelle !
Je ne voulais pas bâcler les choses. Je suis un grand romantique ! Je l'ai donc prise dans mes bras et je l'ai porté jusque chez moi. Elle était un peu lourde ma belle endormie, mais je ne l'aurais lâchée sous aucun prétexte. J'ai profité de l'absence de mes parents pour la monter dans ma chambre, et là, ce fut l'apothéose. Depuis une semaine qu'elle est là, nous n'arrêtons pas de faire l'amour ! J'adore me sentir en elle, et si je me suis protégé au départ, j'ai laissé tomber le préservatif : nous étions vierges tous les deux et nous voulons faire notre vie ensemble alors si elle tombe enceinte ce n'est pas grave ! J'ai continué à aller au lycée pour ne pas attirer l'attention, mais je voyais bien les flics qui la cherchaient partout. Ils ne risquent pas de la trouver, elle est bien cachée ! En journée, je la glisse sous mon lit pour éviter que ma mère ne le découvre. De toute façon, elle a interdiction d'entrer dans ma chambre !
Tout se passait si bien, ça ne pouvait pas durer... Ce soir, j'ai dû nous barricader dans ma chambre : mes parents exigent à tout prix d'entrer et ils vont tout faire échouer ! Je pense que c'est l'odeur qui les a alertés, car depuis une semaine, je vois bien qu'Amandine n'est plus très fraîche, et les mouches sont de plus en plus nombreuses...Je te laisse mon journal, puisque je ne vais pas pouvoir les retenir longtemps ; j'entends qu'ils tentent de fracasser ma porte et ma mère hurle et pleure en même temps. Alors je veux profiter de mes derniers instants avec elle pour lui faire l'amour encore et encore, quitte à me perdre en elle...Et ne jamais reprendre mes esprits.
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