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Albert Camus, la Voix de la pauvreté - Jean-Michel Wavelet


Albert Camus – La Voix de la pauvreté se situe dans un ensemble de travaux engagés sur les « exceptions consolantes ». Après avoir durant de longues années réfléchi à la difficulté scolaire et à ses racines sociales, donnant lieu à la publication de deux ouvrages – Une École pour chacun, L’Harmattan, 2007 et Libérons l’avenir de l’école, l’Harmattan, 2013 - l’auteur a choisi de prendre la question de l’amélioration du fonctionnement de l’école par l’autre bout, celui de la réussite scolaire des élèves qui sociologiquement étaient destinés à y échouer. Ces itinéraires extraordinaires nous éclairent autant sur les vecteurs de réussite des élèves et de l’école que sur l’originalité des penseurs et artistes qui ont pu grâce à l’école inverser le cours de leur destin et marquer à jamais la culture de leur glorieuse empreinte.

Après le parcours inattendu du fils d’ouvrier-cordonnier de la Champagne pauvre qu’était Gaston Bachelard (Gaston Bachelard, l’inattendu, l’Harmattan, 2019) qui a fait l’objet de l’émission de Jean Lebrun sur France-Inter, Intelligence service (12 juin 2021), c’est le destin hors-norme de Camus qui est ainsi exploré.


Le mystère Camus

Un double mystère entoure la vie et l’œuvre de Camus : celui d’une trajectoire inattendue qui conduit ce fils d’analphabète et de pauvre à obtenir le prix Nobel de littérature en 1957 et à être l’un des écrivains le plus lu dans le monde et celui d’un écrivain qui a fait de la pauvreté la source de son œuvre alors que les multiples « spécialistes » de Camus n’ont retenu que la liberté, la révolte, le bonheur, le soleil, l’Algérie ou l’exil. Personne ne s’est interrogé sur le processus extraordinaire qui a produit un tel créateur ni sur les effets d’un tel parcours sur sa création. Par quel miracle ou quel processus rationnel Camus a-t-il pu déjouer tous les pronostics y compris celui de son ex-ami Jean-Paul Sartre qui ne voyait en lui qu’un petit voyou d’Alger devenu philosophe pour classes terminales ?


La part d’obscurité

Rien en effet destinait ce fils de ménagère et d’ouvrier agricole à pratiquer la littérature. On imagine mal que le plus humble des hommes puisse rivaliser au plus haut sommet avec les enfants de « bonne famille ». On résiste à l’idée qu’il puisse y avoir autant de richesses dans la pauvreté et que les injustices les plus criantes ne soient pas l’expression d’un ordre naturel, mais un processus de réduction des talents des bannis pour maintenir les avantages des nantis. Camus est venu bousculer le monde de l’entre-soi et celui-ci ne lui pardonnera guère. La réception de cette œuvre a été longtemps recouverte d’un brouillard plutôt épais, non par manque de perspicacité, mais par une sorte de curieux aveuglement. Un malentendu (c’est aussi le titre de l’une de ses pièces de théâtre) s’est durablement glissé entre l’œuvre et ses exégètes. Camus en avait conscience. Quelques jours avant sa mort, lors de son ultime interview de décembre 1959 à la revue Venture il déclare que les critiques ont négligé dans son œuvre « la part obscure, ce qu’il y a d’aveugle et d’instinctif en [lui] » parce que « la critique française s’intéresse d’abord aux idées. »


La source profonde

Dans cet ouvrage, nous avons voulu accomplir l’ultime souhait de Camus en éclairant cette part obscure qu’il cherchait à saisir. La quête du Premier Homme est celle de cette source profonde à partir desquels s’est édifié cet étonnant chemin de vie et de création. Cette œuvre est en réalité parcourue par la voix des pauvres tour à tour muets ou inaudibles, humiliés ou asservis, que l’on entend souvent en arrière fond des textes et des mises en scènes, que l’on découvre à la faveur des articles et des interviews, qui révèle les pires injustices capables de les maintenir sous la bride et qui prend parfois en charge leur révolte. C’est à cette voix que Camus est resté toute sa vie si fidèle, sans jamais la trahir, et en ayant la volonté de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas.



Écouter la voix de la pauvreté

Que cherchait-il en eux sinon la force des démunis, la dignité des gens de peu et la richesse des pauvres ? Que cherchait-il en lui sinon la capacité à saisir les mains affectueuses qu’on lui a tendues, la volonté de se révolter contre une insupportable condition ? Le Premier Homme, ultime ouvrage posthume dont les dernières lignes ont été écrites quelques heures avant de trouver cette mort tragique sur la nationale sept, près de Villeblevin, le 4 janvier 1960 à 46 ans, visait à mieux éclairer ce parcours hors-norme d’une exception consolante : « J’imagine donc « un premier homme » pauvre qui part à zéro, qui ne sait ni lire, ni écrire, qui n’a ni morale, ni religion. Ce serait, si vous voulez, une éducation, mais sans éducateur », Entretien avec Franck Jotterand, La Gazette de Lausanne,27-28 mars 1954, Oeuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome III, p. 916.

Une fois esquissé ce chemin camusien si inattendu et si exceptionnel, une question demeure : quels enseignements peut-on tirer aujourd’hui de ce parcours d’exception ? Peut-on imaginer que de milliers d’autres Camus puissent aujourd’hui encore inverser le cours de leur destin de pauvre ?


Le livre de Jean-Michel Wavelet Albert Camus – La voix de la pauvreté, l’Harmattan, 2023 est disponible sur Rencontre des Auteurs Francophones.


Dessin Sandra Encaoua Berrih






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