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New York Apocalypse – Marie Le Blé

Qu’est-ce qui m’a poussé, ce jour du 16 mars 2020, à mettre la clé dans la serrure pour descendre dans la rue, mon appareil photo autour du cou ? A l’heure où je vous écrits ces lignes, je m’interroge encore.

En tant que journaliste et photographe, quoi de plus banal, me direz-vous, à ceci près que, pour la première fois, depuis que je vis à New York, une peur indescriptible me saisit à peine la porte franchie. Cette peur que, pas une fois, je n’ai ressenti depuis mon arrivée, il y a près de dix ans, dans la ville qui ne dort jamais. Bien au contraire, la Grande Pomme, par son gigantisme, ses fêtes et sa joie de vivre, m’a toujours nourrie de sa bouillonnante énergie.

C’est pourtant dans un Gotham digne d’un film de science-fiction que je me retrouve soudain plongée, découvrant avec stupéfaction, seule au milieu de nulle part, des rues désertes jusqu’à l’infini, vidées de leurs millions d’habitants, sans parler des flots de touristes qui se sont littéralement volatilisés. Je n’arrive pas à croire ce qui se déroule sous mes yeux.


Les bruits fous et enchanteurs de la City se sont éteints cédant la place à un silence assourdissant et insupportable et par-dessus tout, incompréhensif.

Ainsi va commencer mon périple de 850 jours à travers l’une des plus mythiques métropoles au monde. En dépit de mes craintes, de mes doutes et face à mon propre isolement, loin des miens, ma décision est prise. Mon attachement viscéral au terrain, doublé de ma volonté de témoigner, devront chaque jour, affronter, vous l’aurez compris, « l’ennemi invisible. »

Comme si le fardeau n’était pas assez lourd, viennent s’ajouter nombre d’événements qui ont marqué les Etats-Unis au cours de cette période inédite. George Floyd, la présidentielle, la prise du Capitole, sans parler des vieux démons revenus hanter Big Apple, tels que la violence et le crime.

Ce sont aussi ces moments de rencontres, uniques, inespérés en des temps ordinaires, durant l’une des plus grandes crises sanitaires de notre histoire.

Mais au pays de l’oncle Sam, et tout particulièrement à New-York, la rage de vivre et de surmonter l’impossible sont toujours plus forts que tout. Le combat sans fin de leurs héros anonymes a tenu ses promesses, celui de redonner espoir, une fois encore, pour le meilleur…



 

Les cloches de Pâques ne sont pas passées. Impossible de pousser la porte d’une église. Elles sont toutes fermées. Le pic est à son plus haut niveau quand, à deux pas des gigantesques hôpitaux NYU et Bellevue sur la 1ère avenue, mon regard se tourne vers ce qui ce qui ressemble à une chapelle. Je traverse la rue, grimpe quelques marches et je me retrouve devant une lourde porte en verre qui, à ma grande surprise, s’entrouvre. Un joli petit lobby éclairé de dizaines de bougies rouges me conduit au lieu de culte. Et là, soudain, le temps s’arrête. J’aperçois, assise sur un banc, tête baissée, une infirmière en prière. Son beau visage est triste et fermé.

Un peu plus loin, une autre femme aux cheveux blanc neige se recueille les yeux clos. La gorge nouée et les mains tremblantes, je sors mon appareil. Tout en redoutant de les déranger, je voudrais saisir l’instant. Et comme par miracle, sans que nous échangions un seul mot ni même un regard, les deux femmes se laissent photographier. En cet instant unique, toute parole est vaine. Loin du bruit incessant des sirènes, nous sommes seules au monde, partageant, en silence, ce moment de communion et de paix.



 

Journaliste, diplômée de l’IPJ-Paris Dauphine, Marie Le Blé a travaillé pour Le Parisien-Aujourd’hui en France pendant seize ans. Correspondante de presse à New York et affiliée à l’agence de presse photos américaine Zuma, elle effectue 17 000 clichés entre le 16 mars 2020 et fin juin 2022. Un travail qui l’incite à rendre compte par le récit et l’image de ces moments sans précédent qui ont changé notre vision de la vie et du monde.


Son magnifique livre très émouvant est disponible dans le monde entier :



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